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exemple dans l’école des homérides et dans celle des tragiques, il y avait une collection de lieux-communs tout faits, de maximes et d’antithèses, de vers même et de morceaux qu’on se transmettait ; c’était comme un répertoire où chacun puisait à son gré, ou bien, qu’on nous pardonne la comparaison, une espèce de trésor poétique, à peu près comme ceux que l’on fait aujourd’hui pour les écoliers sous forme de dictionnaires, si ce n’est que ceux-là n’étaient pas écrits, mais se transmettaient de vive voix, et qu’ils étaient aussi à l’usage des maîtres. C’était dans la mémoire qu’on gardait tout cela ; on sait que la mémoire alors était plus vive qu’aujourd’hui, parce qu’elle était plus exercée. Si les bons poètes eux-mêmes ne se faisaient pas faute de puiser dans ce fonds commun qu’ils enrichissaient en retour, à plus forte raison les poètes inférieurs et les diascevastes, soit épiques, soit dramatiques, y prenaient-ils à pleines mains de quoi replâtrer leurs reconstructions. C’étaient des matériaux tout prêts, et une sorte de ciment poétique, propre à rajuster tout. Et cela explique très bien comment, même chez les bons poètes grecs, le style ne tient pas toujours à la pensée. Le style existe jusqu’à un certain point en dehors d’elle et en lui-même. Il y a un certain nombre de belles draperies qui peuvent s’attacher ici ou là sur telle ou telle idée. Pour l’esprit grec, artiste et rhéteur, amoureux des finesses jusqu’à la rouerie, subtil jusqu’à la malhonnêteté, la forme importe presque plus que le fond ; un beau détail, une expression brillante, un heureux tour, une formule bien aiguisée, ont leur prix en eux-mêmes, indépendamment de la pensée. Aussi voit-on que le même moule sert à vingt idées différentes, que la même antithèse reparaît cent fois, les deux termes diversement balancés montant ou descendant tour à tour, selon l’argument : procédé littéraire que nous constatons sans le trouver légitime, et qui ne satisferait pas des esprits moins artistes et plus consciencieux. — D’ailleurs, à ne considérer même que l’art littéraire, où, cette voie les conduisait-elle ? Précisément à ces misères auxquelles nous les voyons réduits : à l’interpolation en règle et au centon systématique, dont la Passion du Christ va tout à l’heure nous présenter le dernier excès.


Mais, si le talent poétique s’affaiblissait, le goût des représentations dramatiques croissait toujours ; et ce n’était plus seulement à Athènes qu’on se passionnait pour les tragédies, des théâtres s’élevaient partout. En 420, on en bâtit un grand nombre dans le Péloponnèse. Polyclète, architecte, sculpteur et peintre, construisit celui d’Épidaure ; Épaminondas, celui de Mégalopolis. Celui des Tégéates, restauré par le roi Antiochus, était tout en marbre. Chaque ville importante avait le sien. Nous ne parlons pas de la Sicile et du théâtre de Syracuse, pour lequel Denys lui-même composait ces pièces qui faisaient conduire aux carrières