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de foi est passé ; il faut attendre que le génie revienne, et l’esprit souffle quand il veut. Heureux ces poètes qui ne doutaient pas, qui s’excitaient les uns les autres, qui s’enhardissaient, qui s’élevaient ! Tous ces génies divers poussaient ensemble ; c’était une seule moisson, semée en même temps, germant du même sol, dorée par le même soleil, abreuvée des mêmes rosées ! Dans cette atmosphère favorable, qui donc n’eût pas été poète ? ou qui n’eût été philosophe dans les jardins d’Académus ? — Cependant, d’un autre côté, ces écoles ne donnaient pas l’inspiration, elles la favorisaient seulement ; elles développaient le métier autant que l’art. Fécondes tant qu’il y eut du génie, dès que le génie manqua, elles devinrent funestes. En effet, quelle source d’œuvres communes ! quel foyer de médiocrités ! L’imitation morte succède à l’initiation vivante. Soulevés par les procédés qu’on leur prête, mille esprits impuissans croient tout pouvoir. Sans s’avouer que l’inspiration personnelle leur manque, ils essaient de se faire, si l’on peut parler ainsi, une sorte d’inspiration extérieure ; ils la demandent aux œuvres des maîtres ; ils copient ces œuvres, ils les retournent, ils les manient et les remanient, espérant peut-être vaguement que l’originalité se communique par le contact. Aussi ne composent-ils eux-mêmes que des œuvres ou plutôt des produits inanimés, uniformes et monotones, que des pastiches brillans çà et là, mais par reflet. Alors, chose déplorable, il y a des milliers de littérateurs et pas un poète. Alors, chose périlleuse même et dissolvante, il y a des milliers de formes au service de pas une idée. — Mais les écoles tragiques surtout furent plus funestes que fécondes, car non-seulement elles ne créèrent point, mais elles détruisirent, et voici comment.

Une tragédie, dans le principe, était destinée à n’être jouée qu’une fois, à l’une des fêtes de Bacchus. Les représentations dramatiques n’avaient lieu qu’à ces fêtes ; quelquefois seulement la pièce était reprise, quand elle avait été bien accueillie. Dans l’intervalle d’une représentation à l’autre, elle était retouchée ou remaniée. Ainsi le furent la Médée d’Euripide, et peut-être les Nuées d’Aristophane, etc. Il arrivait très rarement qu’on reprît la pièce sans y rien changer ; c’était la marque d’un succès complet : ce fut le cas des Grenouilles. Si le poète était absent ou mort, ses collaborateurs ou ses élèves ; ses parens ou ses amis, sa famille ou son école, se chargeaient de la diascève, c’est-à-dire- du remaniement. Que d’altérations arbitraires, surtout pour accommoder l’ouvrage aux nouvelles circonstances politiques, pour en refaire une œuvre actuelle, une réalité, ce que devait toujours être chacune de ces pièces avant d’être une œuvre d’art ! En outre, la famille ou l’école héritait des pièces inédites du poète, et ce n’était pas sans y avoir mis la main qu’elle les faisait représenter. Euphorion, fils d’Eschyle, remporta quatre fois le prix en faisant jouer des pièces que son père n’avait pas