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une forêt de cèdres dix fois séculaires. Du sommet de cette montagne, un fleuve s’élance et franchit la plaine sur les cent arches de ses aqueducs pour venir désaltérer une ville populeuse. A droite, à gauche, de tous côtés, des villages, des clochers, des coupoles, s’élèvent du sein de la vallée. Des sentiers poudreux s’entrecroisent et se découpent comme des rubans d’or sur la verdure ou le long des flaques d’eau. L’arbre du Pérou, le saule pleureur des sables, incline, sous les bouffées de la brise, ses rameaux échevelés, ses feuilles odorantes, ses grappes de baies rouges, et des palmiers dressent çà et là leurs troncs isolés au-dessus de massifs d’oliviers au pâle feuillage.

Ce ne sont là toutefois que les plans lointains et les grandes lignes du tableau. Ramenez vos regards sur la ville elle-même, ou plutôt regardez à vos pieds. Au milieu de l’échiquier formé par les terrasses des maisons, et parmi les fleurs dont ces terrasses sont ornées, vous verrez surgir, comme d’un immense bouquet, les clochers, les églises, avec leurs dômes de faïence jaune et bleue, les maisons enfin avec les murs bariolés et les balcons pavoisés de coutil qui leur donnent sans cesse un air de fête. La cathédrale occupe un des côtés de la plaza Mayor ; elle domine de toute la hauteur de ses tours le palais présidentiel, parallélogramme écrasé qui renferme à lui seul les sept ministères, — une prison, un jardin botanique, une caserne, les deux chambres. L’Ayuntamiento (municipalité) forme avec le palais un angle droit que continuent le portail de Las Flores et le Parian, vastes capharnaüms commerciaux. Ainsi le pouvoir législatif et exécutif, le domaine de la ville, le commerce, toute l’organisation mexicaine est là, résumée dans quelques édifices que l’église semble grouper sous son ombre. Le peuple est là aussi, car les rues de Santo-Domingo, de San-Francisco, de Tacuba, de la Monnaie, de la Monterilla, vomitoires de la grande cité, versent sur la plaza Mayor un flot toujours renouvelé, toujours en mouvement, et il ne faut que se mêler quelques instans à cette foule pour connaître la société mexicaine dans ses plus étranges contrastes de vice et de vertu, de splendeur et de misère.

A l’heure de l’Angelus surtout, cavaliers, piétons et voitures composent, sur la plaza Mayor, une foule chamarrée, compacte, multicolore, où l’or, la soie et les haillons se mêlent de la façon la plus bizarre. Les Indiens vont regagner leurs villages, la populace va retrouver ses faubourgs. Le ranchero fait piaffer son cheval au milieu des promeneurs, qui ne s’écartent que lentement ; l’aguador (porteur d’eau), qui finit sa journée, traverse la place, courbé sous son chochocol de terre poreuse ; l’officier se dirige vers les cafés ou les maisons de jeu, où il passera sa soirée ; le sous-officier se fait faire place à l’aide du cep de vigne, indice de son grade, comme jadis le centurion romain. Le jupon rouge de la femme du peuple tranche sur la saya et la mantille noire de la femme du monde, qui s’abrite sous son éventail du dernier rayon