Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/731

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Soyez comme l’oiseau posé pour un instant
Sur des rameaux trop frêles,
Qui sent ployer la branche, et qui chante pourtant,
Sachant qu’il a des ailes.


Et quels seraient donc les oiseaux qui voudraient rentrer en cage, parce que la branche une fois a plié sous eux ? Est-ce que les ailes leur manqueraient ?

Ainsi, il y a encore des poètes, quoi qu’en puissent dire certains lecteurs, et des lecteurs sérieux, quoi qu’en puissent dire quelques poètes. Ce qui est devenu plus rare peut-être, c’est un troisième personnage placé entre le poète et le public pour leur servir d’intermédiaire : c’est la critique, — non la critique malveillante, grace à l’envie elle existera toujours, — non la critique servile, la république des lettres ne hait pas assez le vasselage, — mais la critique bienveillante sans flatterie, sévère sans injustice. La critique complaisante a été poussée de nos jours jusqu’à ses dernières limites, et on a inventé pour les poètes des formules d’adulation que l’ancien régime n’avait jamais trouvées pour ses rois. Sans doute le fanatisme pour le génie est plus excusable que la bassesse envers la puissance ; mais il y a tel poète de notre temps qui a été plus flagorné que Louis XIV. Les poètes ne sont pas responsables de ces excès ; il leur est bien difficile pourtant de ne pas consentir à leur apothéose. Le malheur, c’est qu’enivrés de flatteries, ils se négligent et s’abandonnent à une confiance qui ne leur permet pas d’être sévères pour eux-mêmes. Jadis chacun dans ses ouvrages faisait tout ce qu’il pouvait ; chacun atteignait sa perfection relative. Aujourd’hui trop souvent un écrivain semble n’avoir eu pour but que de faire dire : Il pouvait faire mieux. Encore si ces flatteries ne s’adressaient qu’aux vrais poètes ! Combien de pauvres écrivains ont été élevés sur le pavois ? Qu’arrive-t-il ? C’est qu’ils prennent fièrement leur place dans la littérature ; ils s’y réservent un petit coin dont ils se font les maîtres, et où ils se cantonnent avec la fierté d’un principicule d’Allemagne. Ils y ont leur petit peuple, leur petite cour, leur petite armée. Au lieu de les pousser à agrandir leur domaine, la flatterie les y confine à jamais en les empêchant de rien souhaiter de mieux ; et trop souvent, pour justifier ce gaspillage d’éloges, quelle raison pourrait-elle donner, sinon celle de don César excusant ses prodigalités : Dame ! on a des amis ?

Mais, si la flatterie endort les poètes dans les langueurs de la béatitude, la haine aveugle a le même effet : elle fait des amis nombreux à l’auteur attaqué, elle réchauffe les tièdes ; et, quand on lit certains réquisitoires littéraires, on serait tenté de supposer que le critique pourrait bien être un ami caché du poète, une espèce de Grangeneuve qui se fait égorger chaque semaine par les amis du poète et les siens, uniquement pour ranimer l’enthousiasme en faveur de son patron. Cependant un peu