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ne paraît pas avoir été leur patrie primitive. De là ils passent en Étolie et s’avancent jusqu’au golfe de Crissa. Après s’être alliés avec des tribus étoliennes, ils traversent le golfe à Naupacte, abandonnent l’Élide à leurs alliés, et remontent la vallée de l’Alphée jusqu’au point où la source de ce fleuve est voisine de celle de l’Eurotas. Alors, s’engageant dans cette dernière vallée, ils descendent dans le territoire de Sparte, puis se répandent dans la Messénie et l’ Argolide.

Telle est cette immigration célèbre, nommée par les anciens le retour des Héraclides, car ils supposent que les rois ou les chefs légitimes du Péloponnèse furent ramenés par les Doriens, leurs auxiliaires. La marche des conquérans que je viens d’indiquer a été admise, avec quelques restrictions, par O. Müller dans son livre des Doriens. M. Grote, avec beaucoup de vraisemblance, combat ce que cette opinion a de trop absolu. D’abord il fait remarquer que l’invasion des Héraclides, telle que la rapportent la plupart des écrivains grecs, porte dans ses détails ce caractère légendaire qui ne tient compte ni des difficultés, ni du temps, et qui, pour expliquer un fait accompli, donne aux événemens une connexité et une rapidité qu’ils n’ont pu avoir en effet. Il paraît sans doute probable que les Doriens pénétrèrent par l’Elide et l’Arcadie dans la vallée de l’Eurotas, car c’est la route naturelle de toute expédition militaire contre la Laconie, mais il est bien difficile de croire que les conquérans d’Argos et de Corinthe aient suivi le même chemin. Dans l’opinion de M. Grote, la relation vulgaire de l’immigration dorienne serait due à l’influence politique exercée par les Lacédémoniens dans le Péloponnèse. Il est naturel en effet que l’orgueil national de ce peuple ait fait de la conquête de son territoire le but principal de l’expédition des Héraclides. L’explication est ingénieuse et plausible ; l’auteur la confirme en montrant que la prépondérance de Sparte ne fut pas immédiate, et qu’avant de donner l’essor à ses conquêtes, elle demeura quelque temps dans une position d’infériorité par rapport à l’Argolide. En rattachant l’occupation d’Argos à la conquête précédente de Sparte, les Spartiates auraient prétendu constater l’ancienne et primitive suprématie de leur patrie.

M. Grote suppose que les conquérans d’Argos et de Corinthe sont venus par mer, et, à son avis, leur invasion est absolument distincte de l’occupation de la Messénie et de la Laconie. Les Doriens établis dans le nord-est du Péloponnèse lui paraissent être arrivés par les golfes Argolique et Saronique, et avoir envahi le pays, non point par le sud ou l’ouest, comme le principal corps des Héraclides. Pour éclaircir cette question, l’examen d’une bonne carte et la connaissance du pays fournissent des renseignemens beaucoup plus sûrs que les vagues traditions de l’antiquité. Il faut encore remarquer que deux anciennes villes, ou plutôt deux forteresses élevées évidemment pour tenir en bride Argos et Corinthe, le Temenion