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junte suprême elle-même. L’émeute était apaisée et les groupes dispersés quand le bruit de la fusillade retentit de nouveau : on court, on s’informe, et l’on apprend que cinquante malheureux insurgés qui avaient été pris les armes à la main et condamnés à mort par un conseil de guerre venaient d’être fusillés au Prado. La populace de Madrid avait commis sur nos soldats, dans la journée du 2 mai, des cruautés affreuses ; on avait vu des bandes de forcenés faire irruption dans les hôpitaux, se jeter sur nos soldats malades et les égorger dans leurs lits ; mais ce n’était point au chef de l’armée française à venger de telles horreurs ; son devoir était de calmer les esprits et non de les exaspérer par des représailles cruelles. Il voulut contenir les Espagnols par la terreur : il ne fit qu’envenimer leur haine et nationaliser l’insurrection. La capitale était remplie d’habitans des provinces qu’avait attirés l’avènement de Ferdinand VII ; ils retournèrent dans leurs familles, où ils firent un récit passionné des scènes dont ils avaient été témoins et propagèrent partout la haine du nom français. C’en est fait ! le prestige qui entourait notre drapeau est détruit. Les Espagnols avaient été bien près de considérer nos soldats comme des demi-dieux ; maintenant qu’ils se sont mesurés avec eux, ils voient que ce ne sont que des hommes ; ils ne les craignent plus. La guerre est commencée, guerre affreuse et sans gloire, qui, après avoir porté une atteinte profonde à la puissance morale de Napoléon, est devenue une des principales causes de ses malheurs et de sa ruine.

Pour le moment, Murat triomphait. Le 3 mai de grand matin, l’infant don Francisco de Paula partit pour Bayonne escorté par un piquet de cavalerie française. Le lendemain, ce fut le tour de l’infant don Antonio. Ce prince fit ses adieux en ces termes à la junte suprême : « Je suis parti pour Bayonne par ordre du roi, et j’engage la junte à continuer le même système tout comme si j’étais au milieu d’elle. Que Dieu nous la donne bonne ! Adieu, messieurs, jusqu’à la vallée de Josaphat. »

L’empereur eut le premier connaissance des tristes événemens du 2 mai ; ils l’affectèrent douloureusement. Il se rendit tout de suite chez les vieux souverains, et, leur présentant le rapport de Murat, il leur dit : « Voyez ce que je reçois de Madrid ; je ne puis me l’expliquer. » Charles IV lut avec beaucoup d’émotion la lettre du grand-duc ; puis, se tournant vers le prince de la Paix, il lui ordonna de faire venir immédiatement Ferdinand et don Carlos. « Ou je me trompe fort, dit-il à l’empereur, ou les infans en savent quelque chose. J’en suis au désespoir. Du reste, je ne m’en étonne pas. » Mais comment peindre le trouble de la reine, sa figure enflammée par la colère, la véhémence de ses paroles ? Elle dénonce à l’empereur son fils Ferdinand comme un traître ; elle l’accuse d’avoir voulu la faire assassiner ainsi que le roi Charles IV ; elle attribue à ses infâmes machinations les massacres du 2 mai. Les deux jeunes princes arrivent au milieu de ces imprécations.