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père et le sien, qu’il ne puisse plus régner, qu’il reste toute sa vie condamné aux tourmens de l’ambition déçue. Périsse, s’il le faut, la maison de bourbon ! le malheur de Ferdinand sera complet ; Godoy sera vengé ! Du reste, la colère des vieux souverains n’a pas besoin d’être surexcitée contre leur fils ; eux aussi ils arrivent ulcérés, et la vengeance leur est presque aussi douce qu’au favori. Celui-ci leur fait connaître les volontés de l’empereur ; ils n’ignorent plus rien : c’est leur couronne, c’est l’existence de leur dynastie qu’on leur demande, et un cri de révolte ne sort point de leur ame ! et le descendant de Louis XIV, le fils de Charles III livre son trône, ses peuples, l’honneur de sa maison, la liberté même de ses enfans, à l’homme qui a immolé le dernier des Condé ! Honte à jamais sur tant de lâcheté et d’ignominie !

Le jour même de son arrivée à Bayonne, le 30 avril, Charles IV fit venir son fils Ferdinand, et, en présence de la reine, de l’empereur et du prince de la Paix, il lui commanda avec l’accent de la colère de lui rendre sa couronne. Le jeune prince voulut répondre ; alors le vieux roi s’élança furieux de son siège, accusa son fils d’avoir voulu lui arracher la vie avec la couronne, et le menaça, s’il résistait à ses injonctions, de le faire traiter, lui et ses conseillers, comme des émigrés rebelles. La reine prit aussi la parole et s’abandonna aux plus violentes invectives contre Ferdinand. Revenu au château de Marac, l’empereur, encore tout ému de la terrible scène à laquelle il venait d’assister, réunit les personnes présentes et leur en raconta en frissonnant tous les détails. Il leur peignit le vieux roi accusant son fils, se plaignant de ses conspirations, de la perte de la monarchie et des outrages faits à ses cheveux blancs. « C’était, dit-il, le roi Priam. » Parlant de la reine, il s’écria : « Quelle femme ! quelle mère ! Elle m’a fait horreur ! elle m’a intéressé au sort de Ferdinand. »

Le jeune prince s’était retiré consterné, mais non encore abattu. Le 1er mai, il écrivit à son père qu’il était prêt à lui rendre sa couronne ; mais il y mit pour condition qu’il accompagnerait Charles IV à Madrid, et qu’en présence des cortès assemblées il formulerait sa renonciation en exposant les motifs qui l’y avaient déterminé ; que son père n’emmènerait point avec lui les personnes qui s’étaient justement attiré la haine de la nation espagnole ; qu’enfin, s’il ne voulait plus ni régner ni rentrer en Espagne, lui, Ferdinand, gouvernerait au nom du roi son père et comme son lieutenant-général. Le vieux roi répondit le lendemain à son fils. Cette lettre est digne de l’attention de l’histoire ; c’est la main de Charles IV qui l’a écrite et signée, mais c’est évidemment l’empereur qui l’a dictée. Pensées et style, tout révèle son véritable auteur. Après avoir rappelé les principaux événemens qui se sont passés en Espagne depuis la paix de Bâle, le complot de l’Escurial, la clémence dont il avait fait preuve en pardonnant à son fils, Charles IV arrive à la révolution d’Aranjuez, et il dit :