Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/701

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conseils faibles et perfides. Elle n’a pas le droit de juger le prince de la Paix. Ses crimes, si on lui en reproche, se perdent dans les droits du trône…

« Quant à l’abdication de Charles IV, elle a eu lieu dans un moment où mes armées couvraient les Espagnes, et, aux yeux de l’Europe et de la postérité, je paraîtrais n’avoir envoyé tant de troupes que pour précipiter du trône mon allié et mon ami. Comme souverain, il m’est permis de vouloir en connaître les motifs avant de reconnaître cette abdication. Je le dis à votre altesse royale, aux Espagnols, au monde entier, si l’abdication du roi Charles est de pur mouvement, s’il n’y a pas été forcé par l’insurrection et l’émeute d’Aranjuez, je ne fais aucune difficulté de l’admettre, et je reconnais votre altesse royale comme roi d’Espagne. Je désire donc causer avec elle sur cet objet. La circonspection que je porte depuis un mois dans ces affaires doit être un garant de l’appui qu’elle trouvera en moi, si, à son tour, des factions, de quelque nature qu’elles soient, venaient à l’inquiéter sur son trône.

« Quand le roi Charles me fit part de l’événement du mois d’octobre dernier, j’en fus douloureusement affecté, et je pense avoir contribué, par les insinuations que j’ai faites, à la bonne issue de l’affaire de l’Escurial. Votre altesse royale avait bien des torts ; je n’en veux pour preuve que la lettre qu’elle m’a écrite et que j’ai constamment voulu ignorer. Roi à son tour, elle saura combien les droits du trône sont sacrés. Toute démarche près d’un souverain étranger de la part d’un prince héréditaire est criminelle.

« Le mariage d’une princesse française avec votre altesse royale s’accorde, dans mon opinion, avec l’intérêt de mon peuple, et je le regarde plus spécialement comme une circonstance qui m’unirait par de nouveaux nœuds à une maison dont j’ai à me louer de toute manière pour la conduite qu’elle a tenue depuis l’époque de mon avènement au trône[1].

« … Votre altesse royale connaît ma pensée tout entière. Elle voit que je flotte entre diverses idées qui ont besoin d’être fixées. Elle peut être certaine que, dans tous les cas, je me comporterai avec elle comme avec le roi son père. Qu’elle croie à mon désir de tout concilier et de trouver des occasions de lui donner des preuves de mon affection et de ma parfaite estime.

« Sur ce, mon frère, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

« Bayonne, le 16 avril 1808.

« NAPOLEON. »


Cette lettre offrait un singulier mélange de rudesse et de duplicité elle renfermait des phrases d’une dureté si étrange, des insinuations tellement outrageantes, qu’on eût dit que l’empereur, dont le caractère fougueux répugnait à la fourberie cauteleuse, avait voulu mettre Ferdinand en garde contre les dangers qui le menaçaient. Il avait en quelque sorte obéi à deux impulsions contraires, à celle de sa conscience, qui semblait dire au jeune prince : Tremblez de mettre le pied sur la terre de France ; fuyez, il en est temps encore ; puis à celle d’une politique artificieuse, qui s’efforçait d’attirer la victime dans le piége fatal.

  1. Tout ce paragraphe relatif au mariage a été retranché dans la publication qui en a été faite dans le Moniteur.