Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/698

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

permettait pas de se rendre à Bayonne tant que l’empereur ne l’y aurait pas officiellement invité, ils décidèrent que le roi lui écrirait pour lui annoncer son arrivée à Vittoria et lui exprimer le désir qu’il avait de le voir. Savary se chargea de porter cette lettre à l’empereur. « Élevé au trône par l’abdication libre et spontanée de son auguste père, disait le jeune prince, il n’avait pu voir sans un véritable regret que le grand-duc de Berg, ainsi que l’ambassadeur de France, n’eussent pas cru devoir le féliciter comme souverain d’Espagne, tandis que les représentans des autres cours avec lesquelles il n’avait point de liaisons si intimes ni si chères s’étaient empressés de le faire. » Il rappelait toutes les preuves successives qu’il avait données de son désir de resserrer les liens d’amitié et d’alliance qui unissaient les deux pays. « Il avait accédé volontiers à l’invitation que lui avait faite le général Savary de venir au-devant de l’empereur ; il s’était rendu dans sa ville de Vittoria, sans égard aux soins indispensables d’un nouveau règne, qui auraient exigé sa résidence au centre de ses états. » Enfin il suppliait l’empereur de faire cesser la situation pénible à laquelle il l’avait réduit par son silence.

Napoléon avait quitté les Tuileries le 2 avril et s’était dirigé sur Bayonne. C’est pendant ce voyage qu’il reçut par des courriers successifs toutes les lettres que les vieux souverains et leur fille, l’ex-reine d’Étrurie, avaient adressées au grand-duc de Berg. Cette correspondance lui révéla que Ferdinand et tout ce qui l’entourait détestait la France, et que, s’il le laissait régner, ce jeune prince deviendrait bientôt l’instrument aveugle de ces mêmes hommes qui l’avaient armé contre son père et contre notre influence. Napoléon soupçonnait tout cela, mais il lui restait encore bien des doutes ; il n’en eut plus après la lecture des lettres de Maria-Luisa et de la reine d’Étrurie. Il eut enfin la mesure de toutes ces ames abaissées, de tous ces esprits violens et incultes. Sa conscience s’en trouvant plus libre, il s’affermit dans la résolution qu’il avait prise d’en finir avec les princes d’Espagne.

Il arriva dans la nuit du 14 au 15 avril à Bayonne, et y trouva Savary, qui l’attendait depuis vingt-quatre heures. Il prit immédiatement connaissance de la lettre de Ferdinand datée de Vittoria, s’entretint longuement avec son aide-de-camp, et puis le congédia. Le 16, de grand matin, il le fit appeler et lui dit, en lui remettant une lettre : « Allez trouver le prince Ferdinand et remettez-lui cette lettre de ma part. Laissez-lui faire ses réflexions. Il n’y a point de finesse à employer ; cela l’intéresse plus que moi : qu’il fasse ce qu’il voudra. Sur sa réponse ou sur son silence, je prendrai un parti, ainsi que des mesures pour qu’il n’aille pas ailleurs que près de son père. » Il finit par ces mots : « Voyez où mènent les mauvais conseils : Voilà un prince qui ne régnera peut-être pas dans quelques jours, ou qui apportera à l’Espagne une guerre