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appris que le général Savary avait adressé quelques paroles satisfaisantes. Elles ont donné lieu à différentes versions sur l’étendue de la mission dont il était chargé ; mais les avis et les suppositions paraissent être unanimes, quant à la substance, et, depuis hier, la nation compte beaucoup sur la reconnaissance du jeune prince. »

Les conseillers de Ferdinand n’étaient point d’accord sur le parti qu’il devait prendre. Le comte de Montijo, le général O’farill, quelques autres encore, désapprouvaient le voyage comme intempestif, nuisible à la dignité, peut-être même à la sécurité du souverain. Le chanoine Escoïquitz fut d’un avis contraire. Il avait la candeur du savant ; il ignorait la politique, ses nécessités implacables et ses artifices. Sa confiance dans la magnanimité de l’empereur était sans bornes ; il était persuadé qu’aussitôt que ce prince aurait vu Ferdinand, il le reconnaîtrait, que tout au plus lui ferait-il acheter cette reconnaissance au prix de l’abandon des provinces situées entre les Pyrénées et l’Èbre. Du reste, cette opinion n’était pas seulement celle du chanoine : c’était celle aussi de M. de Cevallos et des ducs de l’Infantado et de San-Carlos ; Ferdinand lui-même la partageait. Il s’offrait à ce prince un parti plein de grandeur : c’était de quitter Madrid, de gagner les provinces que n’avaient point encore envahies nos troupes, d’appeler aux armes toute la nation, de se jeter dans les bras des Anglais, et de ne remettre l’épée dans le fourreau qu’après avoir chassé les Français de la Péninsule ; mais une telle résolution exigeait une ame héroïque, l’art de passionner et de diriger les hommes, enfin la connaissance de la guerre et des affaires ; il fallait être Henri IV ou Montrose. Ferdinand n’était point trempé pour concevoir et exécuter de telles choses. Il ne vit qu’un moyen de sortir de l’affreuse position où il était placé : ce fut de gagner son père et sa mère de vitesse, de courir au-devant de l’empereur, de détruire les impressions fâcheuses qu’avaient dû produire dans l’esprit de ce prince les lettres des vieux souverains et celles de Murat, et d’obtenir sa protection. En prenant ce parti, il pensait faire un acte de pure courtoisie et non d’humilité ; il ne croyait pas se rendre à Bayonne. Persuadé, d’après ce que ne cessaient de lui affirmer Murat et Savary, que Napoléon avait passé la frontière, il s’attendait à le rencontrer entre Burgos et Vittoria. Il se fit précéder par son frère don Carlos, qui partit cinq jours avant lui. Avant de se mettre en route, le 8 avril, il écrivit à son père « que le général Savary venait de le quitter ; qu’il en était très satisfait, ainsi que du bon accord qui existait entre l’empereur et lui. En conséquence, il le priait de lui donner une lettre pour l’empereur, lettre par laquelle il lui annoncerait que le roi son fils avait pour sa majesté impériale les sentimens d’amitié et de dévouement que lui-même lui avait toujours témoignés. » Charles IV, après avoir pris l’avis de Murat, décida qu’il ne répondrait point à cette singulière lettre.