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français ? Comment se flatter surtout que Ferdinand viendrait se livrer entre les mains d’un souverain qui avait déchiré le traité de Fontainebleau deux mois après l’avoir signé, couvert le royaume de ses troupes sans s’être préalablement concerté avec son allié Charles IV, occupé frauduleusement les places du nord, comme si l’Espagne était son ennemie, et qui, enfin, n’avait encore manifesté aucun empressement à reconnaître le jeune roi ? Il fallait donc imaginer un moyen de dissiper toute méfiance dans l’esprit du jeune prince et de l’attirer à Bayonne, sans toutefois se donner le tort de l’y avoir appelé. Or, quelles mains à la fois assez souples et assez hardies sauraient tisser autour de Ferdinand les fils de cette trame ? Ni le grand-duc de Berg, ni l’ambassadeur de France ne pouvaient se charger d’un tel rôle. Il fallait un personnage nouveau qui, n’ayant point de caractère officiel, pût être au besoin désavoué, et qui cependant, par son rang, par le poste de confiance qu’il occupait auprès de son souverain, fût en situation de se faire écouter. Parmi les officiers attachés à la personne de Napoléon, il en était un surtout dont le dévouement était sans bornes et toujours prêt c’était le général Savary. Il n’était pas seulement rempli d’un zèle à toute épreuve ; il avait l’esprit délié d’un diplomate et le tempérament audacieux d’un soldat : il était, ce qu’il y a de plus rare au monde, homme de conseil et d’exécution. Obéir et se dévouer à l’empereur, c’était là sa vertu. Fallait-il se charger d’une de ces entreprises hardies qu’un souverain n’ose avouer hautement tout en les ordonnant, il s’y engageait résolûment et à fond. Il savait deviner les pensées de son maître, lui épargner l’embarras de les lui dire en face, et les mettre en œuvre sous sa propre responsabilité. C’est sur cet adroit et bon serviteur que l’empereur jeta les yeux pour remplir une mission qui exigeait autant de dextérité que d’audace. Il le fit venir, l’entretint longuement, lui exposa la situation dans laquelle le plaçait la révolution d’Aranjuez, les égards qu’il devait au vieux roi, les méfiances que lui inspirait Ferdinand, enfin, selon toutes les apparences, il lui laissa comprendre, plutôt qu’il ne lui dit ouvertement, ce qu’il attendait de son zèle et de sa sagacité, et puis il l’envoya à Madrid.

Savary arriva dans cette capitale le 7 avril, et trouva les esprits dans un état d’excitation extrême. Il jugea tout de suite que de grandes fautes avaient été commises, que l’ambition avait égaré le jugement de Murat, et que ce prince avait frappé trop fort et trop vite, comme cela lui arrivait toutes les fois qu’il fallait montrer plus de tact et d’esprit que de bravoure.

La première visite du général fut pour les vieux souverains. Les égards dus au malheur, non moins que la politique, lui commandaient cet acte de déférence. Il exprima à Charles IV et à la reine tout l’intérêt que l’empereur prenait à leur situation et sa volonté de les protéger