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avoir 60,000 hommes sous les armes et 50 vaisseaux dans ses ports. Répondez-moi catégoriquement quelle est votre opinion sur ce projet. Vous sentez que ceci n’est encore qu’un projet, et que, quoique j’aie 100,000 hommes en Espagne, il est possible, par les circonstances qui peuvent survenir, ou que je marche directement et que tout soit fait dans quinze jours, ou que je marche plus lentement et que cela soit le secret de plusieurs mois d’opérations. Répondez-moi catégoriquement. Si je vous nomme roi d’Espagne, l’agréez-vous ? Puis-je compter sur vous ? Comme il serait possible que votre courrier ne me trouvât plus à Paris, et qu’alors il faudrait qu’il traversât l’Espagne, au milieu des chances que l’on ne peut prévoir, répondez-moi seulement ces deux mots : J’ai reçu votre lettre de tel jour, je réponds oui, et alors, je compterai que vous ferez ce que je voudrai ; ou bien non, ce qui voudra dire que vous n’agréez pas ma proposition. Vous pourrez ensuite écrire une lettre où vous développerez : vos idées en détail sur ce que vous voulez, et vous l’adresserez à l’enveloppe de votre femme à Paris. Si j’y suis, elle me la remettra ; sinon, elle vous la renverra.

«  Ne mettez personne dans votre confidence, et ne parlez, je vous prie, à qui que ce soit de l’objet de cette lettre, car il faut qu’une chose soit faite pour qu’on avoue y avoir pensé, etc., etc. »


La conscience timide de Louis s’effaroucha de l’offre que lui faisait son frère ; elle lui parut, dit-il dans ses mémoires, impolitique et injuste. Il répondit par un refus formel. Alors l’empereur porta ses vues sur le roi de Naples.

Il restait à décider comment Napoléon procéderait à l’égard des princes d’Espagne et les contraindrait à lui faire l’abandon de leurs droits. Voici le plan qu’il imagina. Il se rendrait d’abord à Bayonne, puis de là, s’il était nécessaire, en Espagne. Ferdinand et les vieux souverains devaient être impatiens de le voir, de le solliciter, de le gagner chacun à sa cause : tous ces princes, poussés par une même furie de haine et d’ambition, s’empresseraient certainement d’accourir vers lui. Quand il les aurait réunis sous sa main, soit à Bayonne, soit dans une ville d’Espagne, fût-ce même à Madrid, il se promettait de leur arracher, par la toute-puissance de son ascendant et moyennant certaines garanties et conditions de compensation, la cession pleine et entière de leurs droits à la couronne. Il commencerait par agir sur Charles IV. Le sceptre était devenu trop lourd pour ce prince. Vieux, malade, brisé par les douleurs de l’ame et les infirmités du corps, dégoûté des affaires et des hommes, il n’opposerait certainement aucune résistance aux volontés de l’empereur. Il ne s’agissait que de lui rendre pour un jour cette couronne qu’il ne pouvait plus porter et de se la faire céder. Une fois qu’il tiendrait dans les mains l’abdication du père, l’empereur triompherait aisément de l’opposition du fils. Ce qu’il désirait le plus vivement, c’était que l’entrevue eût lieu à Bayonne ; mais comment décider tous ces princes à sortir d’Espagne et à se transporter sur le territoire