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défaite que d’en exiger la restitution de la part d’un pouvoir que nous allions briser.

Ferdinand ne se lassait pas de recommander aux autorités espagnoles de se montrer faciles et conciliantes envers les troupes françaises ; il entendait que partout on les accueillît comme l’armée de son plus cher allié. Sur un simple bruit, répandu à dessein par le grand-duc, que l’empereur allait se rendre en Espagne et venir à Madrid, Ferdinand lui destina les plus beaux appartemens de son palais et les fit préparer avec une magnificence digne d’un tel hôte. Il annonça cette grande nouvelle à ses peuples, heureux et fier, disait-il, de l’honneur insigne qu’allait lui faire un si grand homme. Cependant, malgré tant de condescendance et d’humilité, il ne pouvait réussir à se concilier l’amitié du grand-duc de Berg. En toutes occasions, ce dernier se montrait véhément, hautain, plein d’exigences, sans nul souci des plaintes que provoquait incessamment la turbulence de ses soldats. Il ne parlait qu’avec dédain des droits de Ferdinand, déclarant que Charles IV seul était roi, que son abdication lui avait été arrachée par la violence, qu’il était l’allié, le protégé de la France, et que certainement l’empereur ne sanctionnerait pas l’élévation du prince des Asturies. A peine prononcées, ces imprudentes paroles étaient rapportées à Ferdinand, qu’elles remplissaient de trouble et de frayeur. M. de Beauharnais, engagé fort avant dans le parti de ce prince par ses intérêts de famille, était le seul qui lui tînt un langage amical. Il n’avait que trop pénétré les desseins ambitieux du grand-duc de Berg. Comme il ne connaissait point les destinées réservées au beau-frère de Napoléon, il n’osait le blâmer ouvertement ; mais il engageait Ferdinand à compter sur la magnanimité de l’empereur, il lui conseillait d’aller au-devant de ce souverain, et de mériter sa confiance par la franchise de son langage et l’ardeur de son dévouement. En donnant de tels conseils, M. de Beauharnais était d’une entière bonne foi.

Cependant l’anxiété et le doute étaient au fond de toutes les ames. L’occupation du pays par les troupes françaises avait révolté l’orgueil des Espagnols, excité leurs soupçons, arrêté l’élan qui les portait vers nous. Les maux qu’entraîne toujours après elle l’invasion étrangère commençaient à leur paraître intolérables ; ils abhorraient la domination de Murat, et toutefois ils étaient encore sous le prestige qui entourait la puissance et le génie de l’empereur. Il leur répugnait de croire que ce grand homme pût abuser des divisions de la famille royale pour oser porter la main sur la couronne et en dépouiller leurs princes légitimes. On brûlait de le voir, de contempler ses traits : l’impatience à cet égard était si vive, si générale, qu’un jour, le bruit s’étant répandu qu’il arrivait, toute la population de Madrid se précipita hors des murs et courut à sa rencontre. Toutes les pensées et tous les vœux étaient