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avec le plus grand ordre. Par les électeurs on jugea quels seraient les députés. Le ministère septembriste pouvait compter sur une majorité rassurante. Appuyé sur la force morale d’une chambre renouvelée, il conjurerait l’orage, raffermirait l’ordre, et tenterait de donner aux affaires cette direction suivie, désintéressée, qui leur manquait depuis long-temps ; il chercherait à faire triompher la constitution de septembre. La tâche était assurément difficile ; il y avait du courage et presque de l’abnégation à l’aborder. La cour ne laissa pas le temps au ministère Palmella de s’essayer dans ces voies de réforme ; elle vit qu’il allait se fortifier et vivre : elle se décida… à l’escamoter, à le faire disparaître, au milieu de la capitale, qui l’avait, pour ainsi dire, proclamé. On sait comment s’accomplit ce coup d’état. Les ministres, réunis en conseil au palais de Bélem à onze heures du soir, virent les portes se fermer derrière eux ; la garde, payée par la cour et renouvelée à dessein, s’opposait à leur sortie. Pendant ce temps-là, un régiment, celui des grenadiers de la reine, se prononçait ; l’arsenal était gagné ; les principaux partisans de l’administration Cabral, avertis du mouvement, attendaient le jour avec impatience, et la capitale dormait du sommeil le plus paisible.

La reine venait d’effacer d’un trait de plume, ou plutôt par un mot de sa bouche, tout ce qui avait eu lieu depuis cinq mois. Vers midi, le lendemain, elle déclara au duc de Palmella qu’il pouvait se retirer dans son hôtel ; les élections étaient suspendues, tous les journaux supprimés, à l’exception du Moniteur, — Diario do Governo, — et des Petites Affiches. Pendant ce temps-là, le régiment des Granadeiros da Rainha, musique en tête, précédé du maréchal de Saldanha, nommé ministre de la guerre, du nouveau gouverneur de Lisbonne, dom Trasimundo Mascarenhas, marquis de Fronteira, et d’une troupe d’officiers supérieurs, empanachés comme un jour de victoire, marchait triomphalement de l’arsenal au palais de Bélem. Les habitans se mettaient timidement aux fenêtres et se disaient : La voilà qui passe. — Qui ? demandai-je. — La révolution !

Lisbonne ne présenta point ce jour-là l’aspect d’une ville assiégée, comme quelques relations publiées dans les journaux français pourraient le faire croire. Vers midi, des détonations se firent entendre sur plusieurs points à la fois : c’étaient les soldats consignés auxquels on avait distribué des pétards, et qui les faisaient partir pour se désennuyer. Le soir, quelques troupes bivouaquèrent sur la grande place ; les rues, plus désertes que jamais, avaient un aspect lugubre ; une mauvaise action pesait sur cette ville indignée et indifférente, qui se repliait en elle-même comme pour constater son impuissance et sa faiblesse. Point de rassemblemens ni de groupes ; d’ailleurs, ces confidences d’entraînement que se font chez nous les citoyens sans se connaître, ces