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celui de la prospérité des autres nations ? Hélas ! c’est en vain qu’en présence de ces témoignages de la grandeur portugaise, on voudrait oublier la misère qui a succédé à tant de gloire. Pour se faire illusion sur une telle déchéance, il faudrait n’avoir pas vu l’attitude de ce peuple au milieu des discordes civiles qui depuis quelques mois désolent le Portugal. Suivre le contre-coup de ces discordes à Lisbonne même, ce sera montrer la société portugaise sous un de ses plus tristes aspects ; mais ce sera aussi donner une idée plus complète d’une situation dont il faut montrer toute la gravité, si l’on en veut tirer quelque enseignement.


II.

Le malheur de cette capitale, c’est de n’avoir aucune action sur les provinces et de rester la tête démesurée d’un corps qui s’amoindrit. Un voyageur anglais, qui a écrit à la fin du dernier siècle un consciencieux ouvrage sur le Portugal, Murphy, s’étonne que Lisbonne, si avantageusement située, ne soit pas devenue la première ville de l’Europe ; il oubliait que le Tage, cessant d’être navigable à quinze lieues de son embouchure, n’est point comme le Rhône, le Nil ou le Gange, la grande artère d’un royaume ou d’un continent. Réduite au rôle de place d’entrepôt, Lisbonne en a subi les fatales vicissitudes : elle s’est vue déshéritée des marchés de l’Inde et du Brésil, transportés sur d’autres points ; mais, à la différence des cités commerçantes qui ont éprouvé le même sort, elle a gardé sa population. Tandis que l’Espagne, malgré ses dissensions politiques et ses préventions nationales, se rattachait de plus en plus au mouvement européen, le Portugal, en proie au malaise et à la souffrance, s’abandonnait à ce découragement profond dont sa capitale porte l’empreinte. Fatigués de tentatives infructueuses, d’oscillations incessantes, les habitans de Lisbonne s’effraient des grandes commotions qui mettent la nationalité en péril. Le pouvoir est donc tenté de se montrer fort audacieux même, au milieu de la faiblesse générale, et de risquer des coups d’état en face d’un peuple qui voit son sort lié à celui de la dynastie. D’autre part, la tranquillité des états voisins étant intéressée à ce que l’indépendance du Portugal soit maintenue, on n’hésite point au palais à exposer une couronne qui, chancelât-elle sur la tête de la reine, y serait raffermie par la quadruple alliance. De là ces contre-révolutions dont la cour donne le signal, et que la capitale accepte avec docilité.

Au printemps de 1846, un impôt onéreux et repoussant, en ce qu’il s’ajoutait à une foule d’autres et pesait sur les morts, porta à son comble l’exaspération des provinces. Dans ce pays dépourvu de rivières et de canaux, où le défaut de voies de communications et par conséquent de