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de plumes pour régler les affaires d’un si petit royaume ? Jadis cinq cents navires réunis au port en même temps accumulaient leurs cargaisons dans cette douane si vaste, où les expéditions se faisaient rapidement ; aujourd’hui, à peine renferme-t-elle quelques marchandises qu’on n’en peut arracher qu’après mille lenteurs et avec mille difficultés.

En dépit de cet affaissement, Lisbonne a conservé le goût des parades et des démonstrations bruyantes ; on dirait que cette capitale humiliée cherche à s’étourdir sur sa condition présente. Le canon tonne sans cesse sur le Tage et du haut des forts ; tantôt les navires pavoisés font flotter dans les airs d’innombrables pavillons pour célébrer la naissance ou la fête de quelque royal personnage ; tantôt les bannières abaissées, les vergues en désordre, les détonations qui, de quart d’heure en quart d’heure, ébranlent la ville, annoncent un service funèbre ; tantôt une barge dorée, que montent vingt rameurs, fend les flots au milieu de salves assourdissantes, et le peuple regarde avec complaisance la jeune reine qui va visiter une flotte anglaise mouillée devant son palais. La vieille tour de Bélem, qui a vu des temps meilleurs, semble se mêler à regret à ces canonnades puériles, que ses lourdes pièces répètent dans le lointain, comme un écho du passé.

Ne blâmons pas trop cette manie qu’ont les Portugais de brûler de la poudre ; elle a le mérite de secouer par instans la torpeur d’une capitale assoupie. On y trouve aussi la pardonnable vanité d’un peuple qui, ayant eu ses siècles de gloire, voudrait cacher ses misères sous des dehors pompeux. L’habitant de la capitale aime le faste partout où il se rencontre ; les titres sonores lui inspirent le respect : au bruit d’une voiture que suit un piqueur en livrée, au galop d’un cheval sur lequel passe un général en habit de ville, la sentinelle appelle aux armes d’une voix tonnante ; la foule se retourne et salue. Ces honneurs, ces hommages que, chez nous, l’esprit démocratique n’accorde qu’à regret, l’habitant de Lisbonne les prodigue de bon cœur, et cela, nous le croyons, moins par servilité que par patriotisme. La royauté, aux yeux des vrais Portugais, est le palladium qui sauve le pays du danger de devenir colonie anglaise ou province espagnole, en un mot le symbole de la nationalité même. Tout ce qui approche du trône, tout ce qui en émane, reste grand à leurs yeux. Dans leurs entreprises souvent gigantesques, les rois de Portugal sentaient le besoin de s’appuyer sur le peuple, dont le dévouement ne leur a jamais fait défaut ; de son côté, le peuple, habitué à obéir à des souverains jaloux de l’éclat de leur couronne et de l’illustration du pays, se confiait sans réserve à la volonté royale. Par la force même des choses, le gouvernement absolu conservait donc un côté paternel et peu tyrannique, dont on aurait la preuve dans une suite de règnes que ne troublèrent ni jacquerie, ni