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formait clôture, et, pensant qu’il s’agissait de pénétrer jusqu’à des ennemis cachés, j’en fis autant avec mon yataghan ; — les spatules épineuses roulaient à terre comme des têtes coupées, et la brèche ne tarda pas à nous donner passage. Là, mes compagnons se répandirent dans l’enclos, et, ne trouvant personne, se mirent à hacher les pieds de mûriers et d’oliviers avec une rage extraordinaire. L’un d’eux, voyant que je ne faisais rien, voulut me donner une cognée ; je le repoussai ; ce spectacle de destruction me révoltait. Je venais de reconnaître que le lieu où nous nous trouvions n’était autre que la partie du village de Bethmérie où j’avais été si bien accueilli quelques jours auparavant. Heureusement je vis de loin le gros de nos gens qui arrivait sur le plateau, et je rejoignis le prince, qui paraissait dans une grande irritation. Je m’approchai de lui pour lui demander si nous n’avions d’ennemis à combattre que des cactus et des mûriers ; — mais il déplorait déjà tout ce qui venait d’arriver, et s’occupait à empêcher que l’on mît le feu aux maisons. Voyant quelques Maronites qui s’en approchaient avec des branches de sapin allumées, il leur ordonna de revenir. Les Maronites l’entourèrent en criant : « Les Druses ont fait cela chez les chrétiens ; aujourd’hui nous sommes forts, il faut leur rendre la pareille ! »

Le prince hésitait à ces mots, parce que la loi du talion est sacrée parmi les montagnards. Pour un meurtre il en faut un autre, et de même pour les dégâts et les incendies. Je tentai de lui faire remarquer qu’on avait déjà coupé beaucoup d’arbres et que cela pouvait passer pour une compensation. Il trouva une raison plus concluante à donner. — Ne voyez-vous pas, leur dit-il, que l’incendie serait aperçu de Beyrouth ? Les Albanais seraient envoyés de nouveau ici !

Cette considération finit par calmer les esprits. Cependant on n’avait trouvé dans les maisons qu’un vieillard coiffé d’un turban blanc qu’on amena, et dans lequel je reconnus aussitôt le bonhomme qui, lors de mon passage à Bethmérie, m’avait offert de me reposer chez lui. On le conduisit chez le cheik chrétien, qui paraissait un peu embarrassé de tout ce tumulte, et qui cherchait, ainsi que le prince, à réprimer l’agitation. Le vieillard druse gardait un maintien fort tranquille et dit en regardant le prince

— La paix soit avec toi, Miran ; que viens-tu faire dans notre pays ?

— Où sont tes frères ? dit le prince ; ils ont fui sans doute en nous apercevant de loin.

— Tu sais que ce n’est pas leur habitude, dit le vieillard ; mais ils se trouvaient quelques-uns contre tout ton peuple, ils ont emmené loin d’ici les femmes et les enfans. Moi j’ai voulu rester.

— On nous a dit pourtant que vous aviez appelé les Druses de l’autre montagne et qu’ils étaient en grand nombre.