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admettant les prodiges attribués à l’Apollon syrien, lequel n’est autre que Baal, je ne vois pas pourquoi cette puissance accordée aux génies rebelles et aux esprits de Python n’aurait pas produit de tels effets ; je ne vois pas non plus pourquoi l’ame immortelle d’un pauvre santon n’exercerait pas une action magnétique sur les croyans convaincus de sa sainteté.

Et d’ailleurs qui oserait faire du scepticisme au pied du Liban ? Ce rivage n’est-il pas le berceau même de toutes les croyances du monde ? Interrogez le premier montagnard qui passe : il vous dira que c’est sur ce point de la terre qu’eurent lieu les scènes primitives de la Bible ; il vous conduira à l’endroit où fumèrent les premiers sacrifices, il vous montrera le rocher taché du sang d’Abel ; plus loin existait la ville d’Enochia, bâtie par les géans, et dont on distingue encore les traces ; ailleurs c’est le tombeau de Chanaan, fils de Cham. — Placez-vous au point de vue de l’antiquité grecque, et vous verrez aussi descendre de ces monts tout le riant cortége des divinités dont la Grèce accepta et transforma le culte, propagé par les émigrations phéniciennes. Ces bois et ces montagnes ont retenti des cris de Vénus pleurant Adonis, et c’était dans ces grottes mystérieuses, où quelques sectes idolâtres célèbrent encore des orgies nocturnes, qu’on allait prier et pleurer sur l’image de la victime, pâle idole de marbre ou d’ivoire aux blessures saignantes, autour de laquelle les femmes éplorées imitaient les cris plaintifs de la déesse. Les chrétiens de Syrie ont des solennités pareilles dans la nuit du vendredi saint ; une mère en pleurs tient la place de l’amante, mais l’imitation plastique n’est pas moins saisissante ; on a conservé les formes de la fête décrite si poétiquement dans l’idylle de Théocrite. Croyez aussi que bien des traditions primitives n’ont fait que se transformer ou se renouveler dans les cultes nouveaux. Je ne sais trop si notre église tient beaucoup à la légende de Siméon Stylite, et je pense bien que l’on peut sans irrévérence trouver exagéré le système de mortification de ce saint ; mais Lucien nous apprend encore que certains dévots de l’antiquité se tenaient debout plusieurs jours sur de hautes colonnes de pierre que Bacchus avait élevées, à peu de distance de Beyrouth, en l’honneur de Priape et de Junon. — Mais débarrassons-nous de ce bagage de souvenirs antiques et de rêveries religieuses où conduisent si invinciblement l’aspect des lieux et le mélange de ces populations, qui résument peut-être en elles toutes les croyances et toutes les superstitions de la terre. Moïse, Orphée, Zoroastre, Jésus, Mahomet, et jusqu’au Boudda indien, ont ici des disciples plus ou moins nombreux ; — ne croirait-on pas que tout cela doit animer la ville, l’emplir de cérémonies et de fêtes, et en faire une sorte d’Alexandrie de l’époque romaine ? Mais non, tout est calme et morne sous la froide influence des Turcs. C’est dans la montagne, où leur pouvoir se fait moins sentir, que nous retrouvons