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auront toujours des droits égaux. — En fait de procédés diplomatiques, les Turcs sont au niveau de l’Europe pour le moins.

Il faut reconnaître d’ailleurs que le rôle des pachas n’est pas facile dans ce pays. On sait quelle est la diversité des races qui habitent la longue chaîne du Liban et du Carmel, et qui dominent de là comme d’un fort tout le reste de la Syrie. Les Maronites reconnaissent l’autorité spirituelle du pape, ce qui les met sous la protection immédiate de la France et de l’Autriche ; les Grecs-unis, plus nombreux, mais moins influens, parce qu’ils se trouvent en général répandus dans le plat pays, sont soutenus par la Russie ; les Druses, les Ansariés et les Métualis, qui appartiennent à des croyances ou à des sectes que repousse l’orthodoxie musulmane, offrent à l’Angleterre un moyen d’action que les autres puissances lui abandonnent trop généreusement. Ce sont les Anglais qui, en 1840, parvinrent à enlever au gouvernement égyptien l’appui de ces populations énergiques. Depuis, leur système a toujours tendu à diviser les races qu’un sentiment général de nationalité pourrait comme autrefois réunir sous les mêmes chefs. C’est dans cette pensée qu’ils ont livré à la Turquie l’émir Béchir, le dernier des princes du Liban, l’héritier de cette puissance multiple et mystérieuse dans sa source, qui depuis trois siècles,réunissait toutes les sympathies, toutes les religions dans un même faisceau.


IV. – LES BAZARS. – LE PORT.

Je sortis de la cour du palais, traversant une foule compacte, qui toutefois ne semblait attirée que par la curiosité. En pénétrant dans les rues sombres que forment les hautes maisons de Beyrouth, bâties toutes comme des forteresses et que relient çà et là des passages voûtés, je retrouvai le mouvement, suspendu pendant les heures de la sieste ; les montagnards encombraient l’immense bazar qui occupe les quartiers du centre, et qui se divise par ordre de denrées et de marchandises. La présence des femmes dans quelques boutiques est une particularité remarquable pour l’Orient, et qu’explique la rareté, dans cette population, de la race musulmane. Rien n’est plus amusant à parcourir que ces longues allées d’étalages protégées par des tentures de diverses couleurs, qui n’empêchent pas quelques rayons de soleil de se jouer sur les fruits et sur la verdure aux teintes éclatantes, ou d’aller plus loin faire scintiller les broderies des riches vêtemens suspendus aux portes des fripiers. J’avais grande envie d’ajouter à mon costume un détail de parure spécialement syrienne, et qui consiste à se draper le front et les tempes d’un mouchoir de soie rayé d’or, qu’on appelle caffich, et qu’on fait tenir sur la tête en l’entourant d’une corde de crin tordu ; l’utilité de cet ajustement est de préserver les oreilles et le col des courans