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son hôtel. Je lui montrai la pancarte annonçant qu’on n’y était admis que moyennant 60 piastres, ce qui portait la dépense à 1,800 piastres par mois. -Ah ! corpo di me ! s’écria-t-il. Questo è per gli Inglesi : che hanno molto moneta, e che sono tutti heretici !… ma per gli Francesi, e altri Romani è soltante cinque franchi ! — Ceci est pour les Anglais, qui ont beaucoup d’argent et qui sont tous hérétiques ; mais pour les Français et les autres Romains, c’est seulement 5 francs.

C’est bien différent ! pensai-je, et je m’applaudis d’autant plus de ne pas appartenir à la religion anglicane, puisqu’on rencontrait chez les hôteliers de Syrie des sentimens si catholiques et si romains.


III. – LE PALAIS DU PACHA.

Le seigneur Battista mit le comble à ses bons procédés en me promettant de me trouver un cheval pour le lendemain matin. Tranquillisé de ce côté, je n’avais plus qu’à me promener dans la ville, et je commençai par traverser la place pour aller voir ce qui se passait au palais du pacha. Il y avait là une grande foule au milieu de laquelle les cheiks maronites s’avançaient deux par deux, comme un cortége suppliant, dont la tête avait pénétré déjà dans la cour du palais. Leurs amples turbans rouges ou bigarrés, leurs machlahs et leurs cafetans tramés d’or ou d’argent, leurs armes brillantes, tout ce luxe d’extérieur qui, dans les autres pays d’Orient, est le partage de la seule race turque, donnait à cette procession un aspect fort imposant du reste. Je parvins, à m’introduire à leur suite dans le palais, où la musique militaire continuait à transfigurer la Marseillaise à grand renfort de fifres, de triangles et de cymbales.

La cour est formée par l’enceinte même du vieux palais de Fakardin. On y distingue encore les traces du style de la renaissance, que ce prince druse affectionnait depuis son voyage en Europe. Il ne faut pas s’étonner d’entendre citer partout dans ce pays le nom de Fakardin, qui se prononce en arabe Fakr-et-Din ; c’est le héros du Liban, c’est aussi le premier souverain d’Asie qui ait daigné visiter nos climats du nord. Il fut accueilli à la cour des Médicis comme la révélation d’une chose inouie alors, c’est-à-dire qu’il existât au pays des Sarrasins un peuple dévoué à l’Europe, soit par religion, soit par sympathie. Fakardin passa à Florence pour un philosophe, héritier des sciences grecques du Bas-Empire, conservées à travers les traductions arabes, qui ont sauvé tant de livres, précieux et nous ont transmis leurs bienfaits ; — en France, on voulut voir en lui un descendant de quelques vieux croisés réfugiés dans le Liban à l’époque de saint Louis ; on chercha dans le nom même du peuple druse un rapport d’allitération qui conduisit à le faire descendre d’un certain comte de Dreux, Fakardin accepta toutes ces