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la jeune Émilie ; l’épousera-t-il ? Théagène, l’infame affranchi de Néron, veut enlever Émilie pour l’offrir à son maître ; l’enlèvera-t-il ? Le Syrien, esclave chrétien, veut convertir Marcellus ; y parviendra-t-il ? Voilà, ce me semble, trois actions bien distinctes. Ce Syrien, qui donne son nom à la pièce, y a-t-il quelque influence ? Pas la moindre ; son intervention se borne à faire mourir Marcellus en néophyte, au lieu de le laisser mourir en stoïcien. C’est ici qu’éclate, selon moi, l’infériorité de M. Latour. Dans les œuvres précédentes, puisées aux mêmes sources, on avait cherché à donner à l’avènement du christianisme une part puissante dans le drame. Que Polyeucte et Pauline restent païens, qu’Eudore et. Cymodocée ne brisent pas les idoles, à l’instant tous les événemens auxquels ils sont mêlés changent de face. Unir ainsi par des liens étroits, rendre responsables les uns des autres les événemens, les personnages et les caractères, c’est là vraiment l’art du poète, et c’est là ce qu’on néglige trop aujourd’hui. Lorsqu’on fait de l’archaïsme ou plutôt du bric-à-brac romain, on croit faire de l’histoire romaine ; lorsqu’on a logé, tant bien que mal, dans de bruyans alexandrins, le nom d’un meuble, d’un vêtement, d’un détail familier omis par Corneille et Racine, on s’imagine avoir fait faire un grand pas à la science historique. Hélas ! c’est tout simplement le procédé employé, il y a vint ans, à propos du moyen-âge : même prédilection pour les étoffes et les couleurs, même dédain pour la logique des événemens et des caractères. Le mannequin n’a pas changé : au lieu d’un justaucorps et d’un pourpoint de velours, vous lui mettez une tunique et un manteau de pourpre ; mais, sous la pourpre comme sous le velours, je ne sens pas le cœur battre. Je cherche en vain l’humanité et l’histoire, et je nie détourne de cet étalage que n’animent ni la vérité ni la vie.

M. Latour a donc manqué à cette loi qui doit dominer les divers systèmes. Chaque personnage, chaque incident de sa pièce est épisodique. On dirait des compartimens séparés, où il est allé chercher tour à tour des matières à hémistiches et à tirades : tantôt c’est le libertinage romain avec son appareil accoutumé d’amphores, de vins de Paterne et de coupes couronnées de fleurs ; tantôt ce sont les vertus républicaines avec les déclamations d’usage sur l’agonie de Rome ; tantôt enfin ce sont les vertus maternelles ou les prédications chrétiennes. Aucun de ses personnages n’agit réellement. Augusta déplore les excès de son mauvais fils ; elle bénit l’amour de Marcellus ; elle maudit le crime épouvantable de Sévère, devenu le délateur de son frère : en tout, trois scènes que Mme Dorval joue avec son énergie de lionne blessée ; mais pas la plus petite part dans le drame. Même inaction chez la jeune fille qui, tout en parlant très convenablement de son amour et de sa vertu, reste étrangère aux événemens. Quant au Syrien, s’il prêche à son maître une foi nouvelle, c’est pour ainsi dire in extremis ; et comme s’il ne s’agissait que de lui apporter les secours de la religion. Marcellus déclame, Sévère seul a quelques lueurs de vie ; mais que d’incohérences et que d’emphase !

Chose singulière ! c’est en remontant aux principes littéraires dont on voudrait aujourd’hui faire un programme d’école, que nous sommes amené à juger sévèrement le Syrien : unité, netteté, mesure, telles sont, j’aime à le croire, les qualités que recherche M. Latour, et ce sont justement celles-là qui manquent dans son drame. Le Syrien semble fait d’après la poétique des préfaces et des disciples de M. Hugo. Combinaisons d’élémens divers substituées aux développemens