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femme ? Je crois qu’il serait vraiment difficile de résoudre cette question sans le secours du livret. La même remarque s’applique avec une égale justesse au vêtement qui couvre la poitrine. Ce vêtement, il faut le dire, convient tout aussi bien à un jeune homme qu’à une jeune femme, et, comme il n’explique pas la forme, il ne permet pas au spectateur de deviner le sexe du personnage. Je ne veux pas exagérer l’importance de ces deux objections ; toutefois il est évident qu’elles doivent être prises en considération. L’art, quelque langue qu’il choisisse, ne peut se passer de clarté. Pour juger une tête peinte ou sculptée, il est utile, il est nécessaire de savoir si l’on a devant soi une tête d’homme ou une tête de femme. Or, le buste de Mme d’Agoult, avec son ajustement et sa coiffure, ne satisfait pas à cette condition. Si l’auteur n’eût pris soin de nous dire le nom du modèle, nous aurions pu étudier long-temps son œuvre sans découvrir quel personnage il avait essayé de reproduire. Je ne m’arrêterais pas à relever cette double faute, si le talent de M. Simart ne méritait l’estime la plus sérieuse. Les amis de la statuaire n’ont pas oublié son Oreste, qui réunit de si nombreux, de si légitimes suffrages. Par ses études, par sa persévérance, M. Simart occupe un rang élevé parmi les artistes contemporains. Il doit au public, dont les encouragemens ne lui ont pas manqué, il se doit à lui-même de traiter avec un soin égal toutes les parties de chacune de ses œuvres, Or, un buste de femme coiffé, ajusté comme celui de Mme d’Agoult, ressemble trop à une énigme. Ajoutons que la coiffure, lors même qu’elle appartiendrait à un homme et ne pourrait éveiller aucun doute dans la pensée du spectateur, devrait encore être répudiée par la statuaire ; car les cheveux ainsi réunis en masse compacte manquent absolument de grace et de vie. Il faut que l’air soulève les cheveux, leur donne du mouvement et de la légèreté. M. Simart le sait mieux que nous, et sans doute il n’a cédé qu’à la fantaisie de son modèle. C’est une complaisance, une faiblesse que nous ne pouvons accepter. Au nom du bon goût, au nom du bon sens, il devait résister, et nous donner un portrait dont le sexe ne demeurât douteux pour personne.

Je me suis montré sévère, l’an dernier, pour M. Ottin. J’ai blâmé énergiquement le groupe de la Vierge et du Christ, le groupe du Chasseur indien. Je suis heureux de pouvoir, cette année, parler en termes plus indulgens de la figure de Leucosis. Il y a dans ce morceau un talent d’exécution qui révèle chez l’auteur des études persévérantes. Le corps a de la souplesse, de la grace ; toutes les parties du torse et des membres sont traitées avec une habileté qui ne se rencontrait ni dans le groupe de la Vierge, ni dans le groupe du chasseur indien. Je disais, l’an dernier, que M. Ottin avait eu tort de ne pas mesurer ses forces, de ne pas interroger l’instinct de sa pensée, avant de commencer ces deux œuvres si diverses ; je ne sais s’il a tenu compte de mes remontrances,