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souci que de prendre sur sa couche une attitude qui fasse valoir la beauté de son corps. Assurément ce n’est pas là le personnage singulier dont Plutarque nous a raconté les passions ardentes et la fin tragique. La Cléopâtre de M. Daniel semble se contempler avec complaisance et admirer la souplesse, l’élégance dont la nature l’a douée ; on dirait qu’elle remercie le ciel de l’avoir traitée si généreusement. Et pourtant elle est bien loin d’être belle. Le torse et les membres sont modelés d’une façon vulgaire ; à proprement parler, il n’y a pas dans toute cette figure un morceau qui soit étudié avec soin, rendu avec précision. Si l’on renonce à chercher dans cette statue le personnage que l’auteur a voulu représenter, si l’on oublie que cette femme nous est donnée pour la maîtresse d’Antoine, si l’on se contente en un mot de demander au marbre la reproduction fidèle de la nature, on éprouve un désappointement qui ne permet pas l’indulgence. La tête n’est pas seulement dénuée d’expression, elle est à peine construite. La bouche est laide, d’une laideur maladive. Les mains ne sont pas traitées avec plus de précision, plus d’élégance que le visage. La statue de M. Daniel ne peut pas même être acceptée comme une étude. Cependant il se rencontre parmi les spectateurs des esprits assez peu éclairés pour admirer cette statue. A quelle cause faut-il attribuer cette singulière méprise ? A la beauté de la matière. Le marbre est si beau, le grain en est si fin, que les yeux se laissent facilement abuser. Il en est d’une mauvaise statue taillée dans un bloc de Carrare comme d’un mauvais opéra exécuté par d’habiles chanteurs. Parmi les auditeurs, il y en a bien peu qui aient le goût assez délicat pour juger la pensée du compositeur, sans tenir compte de l’exécution ; parmi les spectateurs réunis autour d’une statue, il y en a bien peu qui soient capables de juger la forme, abstraction faite de la matière. Si la Cléopâtre de M. Daniel n’était pas taillée dans le Carrare, si nous n’avions devant nous qu’un modèle en plâtre, l’impartialité, la clairvoyance, deviendraient plus faciles. La forme réduite à sa valeur intrinsèque ne séduirait plus les yeux de la foule ; l’œuvre de M. Daniel serait appréciée avec justice, avec sévérité.

Il y a beaucoup à louer dans le buste de Mme la comtesse d’Agoult, par M. Simart. Le masque est modelé avec une remarquable fermeté ; le front est d’une belle forme, les yeux ont de la vivacité, la bouche est d’une expression sérieuse ; les narines, minces, transparentes et dilatées, donnent à la physionomie quelque chose d’idéal et d’exalté. Cependant, malgré tous ces mérites que je me plais à reconnaître, que je proclame avec plaisir, j’adresserai à ce portrait un reproche assez grave : la coiffure et l’ajustement sont conçus de telle sorte, que le sexe du personnage demeure parfaitement indécis. Étant donné le parti adopté par l’auteur, on peut dire que les cheveux sont bien faits, bien rendus ; mais ces cheveux appartiennent-ils à un homme ou à une