Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses mœurs et de ses lois, et rapprendre le passé aux champions du passé. Ainsi, pour expliquer ou justifier le présent, on rouvrait tout le champ de l’histoire. Le genre humain est un, et l’histoire des révolutions est celle de l’humanité. C’est un des résultats les plus certains des travaux contemporains que le renouvellement, total de la science historique.

Je ne sais point de pensée qui ait fait plus grande fortune que celle-ci : « La littérature est l’expression de la société. » Il était donc impossible de reprendre l’histoire de la société, celle de ses mœurs, de ses lois, de ses idées, sans toucher à l’histoire des lettres. L’histoire des lettres est inséparable de la critique littéraire, qui, sans elle, est abstraite et hypothétique, comme, sans la critique, l’histoire des lettres est une nomenclature bibliographique, le catalogue d’un musée. D’ailleurs, la politique, la religion, la philosophie, l’histoire, quand elles sont écrites, sont déjà de la littérature. Les auteurs que des vocations diverses entraînaient vers ces différens sujets ne pouvaient manquer, à la longue, d’engager dans la querelle l’art même qu’ils pratiquaient. La comparaison des sociétés ou des époques entre elles ne pouvait être complète sans celle des littératures. Institutions, lois, cultes, si tout est monument de l’esprit humain, comment ne pas étudier et décrire ce monument plus durable qu’il s’élève à lui-même ? Les livres sont la pierre du témoignage qu’il laisse, en passant, toute couverte de caractères ineffaçables ; le génie de quelques hommes y dépose pour tous et s’adresse à tous. Mais la critique seule n’était pas appelée à résoudre les questions d’art et de goût. Une société toute nouvelle dans ses formes et dans ses allures, agitée par de grands événemens, émancipée par des lois inouïes avant elle, devait produire à son tour une littérature qui lui fût propre. Comme le flambeau qui éclaire le monde semble apporter l’existence aux objets en ajoutant aux formes les couleurs, ainsi l’imagination prête le relief et l’éclat aux pures idées, formes invisibles de la société, qu’elle rend plus vivante en l’exprimant. L’ame de la société ne s’atteste que par l’éloquence ; c’est l’art qui donne vraiment au genre humain la conscience de lui-même. Il s’ignorerait s’il n’écrivait pas.

Ainsi, le mouvement excité par une première impulsion politique se prolongea jusque dans la littérature, qui s’émut la dernière, parce qu’elle touche de moins près aux réalités, parce qu’elle se compose d’inspirations individuelles au moins autant que de sentimens généraux, parce qu’elle n’est pas la première affaire d’une société agissante, qui, faisant incessamment descendre l’idéal sur la terre, n’a pas le loisir de remonter de la terre à l’idéal.

Voilà l’esquisse de cette grande lutte intellectuelle qui, déterminée primitivement par la politique, devait aboutir encore à une révolution