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nous l’apprit. Avec une rapidité singulière, la première vue de la restauration fit comprendre, même à ceux qui l’accueillaient sans vive inimitié, pourquoi l’ancien régime avait dû périr, pourquoi la révolution s’était faite. La France se reconnut elle-même, et pour ce qu’elle était, pour une nation renouvelée ; les jeunes générations comprirent le secret de leur temps ; elles sentirent à quelle fin elles étaient au monde, elles ne voulurent pour ancêtres que les hommes de 89. L’empire n’avait été qu’une halte brillante, nécessaire peut-être pour que la révolution rajeunît son armée. Voilà plus de trente ans que s’établit dans nos esprits cette idée qui ne devait plus nous quitter.

Cette idée de la révolution à continuer était d’abord purement politique. Suscitée par les événemens, elle répondait à des passions nationales, et pouvait devenir le principe d’une opposition active et puissante ; mais par ses conséquences elle devait dépasser la sphère de la politique, et peu à peu engendrer de fécondes controverses sur tous les objets. En effet, la révolution, après avoir été originairement le produit d’une certaine manière de penser sur les choses générales, a plus tard enfanté de nouvelles doctrines, de nouvelles théories, un nouveau mouvement de l’esprit humain.Nous tous qui avons pris part aux débats philosophiques des quinze années de la restauration, ce sont nos opinions, ou, si l’on veut, nos passions patriotiques, qui nous ont fait tout ce que nous avons été.. Elles ont contenu l’inspiration première qui nous a poussés ensuite dans toutes les voies où le talent a conduit la raison.

La politique de la révolution, même corrigée par l’expérience, trouvait d’abord dans la restauration un obstacle et une censure redoutable. Pour en triompher, pour ravir à la cause victorieuse ses plus forts argumens et ses plus spécieux prétextes, il fallait que cette politique s’épurât et s’assouplît, qu’en effaçant la rouille des préjugés révolutionnaires, elle achevât de se réconcilier avec l’humanité, la justice, la sagesse. On rétorquait contre elle le mal fait en son nom. Elle avait à prouver que le mal n’était pas nécessaire, qu’elle était capable de modération et compatible avec l’ordre. C’était un premier mérite pratique qu’elle devait acquérir ou revendiquer, et tout le monde sait par quel long travail la politique libérale s’est peu à peu convertie en une politique de gouvernement.

Ce n’est pas tout. La restauration n’était pas un fait seulement, mais une doctrine ; des publicistes ingénieux ou véhémens lui avaient après coup retrouvé des titres dans leurs officieuses théories, soutenues avec subtilité, avec force, même avec éloquence. M. de Maistre mettait au service de cette cause la verve d’un esprit brillant et paradoxal, fertile en aperçus originaux, en traits imprévus, possédant l’art des embûches et le talent des surprises, habile à donner une apparence d’élévation à d’assez vulgaires principes, et cachant sous l’éclat des détails et la hardiesse