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prix des denrées nationales et celui des denrées étrangères, tout rapport, tout équilibre est détruit. Ce n’est plus seulement cette différence graduée, régulière, logique, dont nous parlions tout à l’heure, qui ne marque aucune solution de continuité à la frontière et qui s’efface à l’occasion ; c’est une distinction tranchée, une séparation nette et profonde, que les circonstances mêmes n’effacent que rarement. Dès ce moment, les produits nationaux deviennent, par l’élévation relative de leurs prix, ordinairement inabordables pour les étrangers, et sont en quelque sorte mis hors de la loi commune. Tous les débouchés extérieurs se ferment pour eux, et la vente au dehors cesse ; alors aussi l’agriculture se replie sur elle-même, privée de tout moyen d’échange avec l’étranger et réduite à l’exploitation du seul marché du pays.

Qu’importe, disent à cela quelques déterminés protectionistes, si du moins ce marché national lui est réservé sans partage ? Il importe beaucoup, et, à supposer même que l’agriculture acquière par ce moyen la jouissance exclusive du marché national, elle ne serait pas suffisamment dédommagée de la perte de ses débouchés au dehors. Ce n’est pas peu de chose pour l’agriculture que de renoncer à cette circulation féconde, à ce mouvement actif et vivifiant que le commerce extérieur fait naître, et certes, mieux vaudrait pour elle perdre une partie de ses débouchés au dedans pour en recouvrer l’équivalent au dehors ; elle en acquerrait à la fois plus d’élasticité et de puissance. C’est par là aussi que le commerce serait provoqué à intervenir dans la vente de ses produits ; or, cette intervention du commerce dans les affaires de l’agriculture, qu’on le sache bien, est l’unique voie par où l’on résoudra jamais ce grand problème du crédit agricole dont on poursuit en vain, et depuis tant d’années, la solution. En outre, est-il vrai qu’à l’ombre des lois qui protègent l’agriculture le marché national lui soit garanti ? Loin de là. Vainement ces lois repoussent-elles à la frontière les produits étrangers par des taxes ; comme elles ne font par là qu’élever le prix des denrées indigènes dans la proportion de ces taxes, elles ne provoquent que plus sûrement l’importation. Elles la gênent sans doute, elles la rendent plus irrégulière et plus chanceuse, elles ne la rendent pas moins forte. Chose remarquable ! ces lois restrictives, qui ont pour objet de ralentir ou d’arrêter l’importation des produits étrangers, tendent précisément à des résultats contraires. Ce n’est pas l’importation, c’est l’exportation qu’elles arrêtent, indirectement, il est vrai, et sans y mettre aucune entrave, mais en la rendant par le fait, en raison de la cherté artificielle qu’elles déterminent, ou difficile, ou impossible. Quant à l’importation, elles ont beau l’entraver, elles ne font que la rendre plus nécessaire, plus inévitable, sinon plus active qu’auparavant.

Qu’on ne dise pas que nous raisonnons ici sur des hypothèses ; c’est de l’histoire que nous faisons, et tous les élémens de cette histoire peuvent