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raisonnemens qui l’expliquent ? où sont les faits qui la justifient ? On cite l’exemple de l’Angleterre, où véritablement on a remarqué pendant long-temps la coexistence de ces deux faits, salaires élevés et subsistances à très haut prix. A cet exemple que n’oppose-t-on celui des États-Unis, où l’on trouve au contraire, depuis trois quarts de siècle, des salaires encore plus élevés qu’en Angleterre et des subsistances à très bas prix ? N’y eût-il que ce seul fait à produire, il suffirait, de quelque manière qu’on l’interprétât d’ailleurs, pour prouver jusqu’à l’évidence qu’il n’y a aucune relation nécessaire et constante entre le prix des subsistances et le prix du travail. Au reste, les preuves du même genre ne manquent pas. En Angleterre, les salaires ont toujours baissé dans les temps de disette, alors que les vivres s’élevaient à des prix exceptionnels. Il en a été de même en France et partout. Dans la réalité, soit que l’on raisonne pertinemment, soit que l’on consulte l’expérience, voici ce que l’on trouve. Deux causes principales concourent à élever les salaires : d’abord la prospérité générale de l’industrie et du commerce ; en second lieu, l’extension des capitaux par le crédit. Cette donnée, en harmonie parfaite avec ce que la science enseigne sur les rapports de l’offre et de la demande, est en outre amplement confirmée par les faits. C’est par le concours des deux circonstances que nous venons de mentionner que les salaires se maintiennent très élevés aux États-Unis, en dépit du bon marché des subsistances. En Angleterre, où l’on trouve de même un crédit commercial très large avec une prospérité industrielle intermittente et plus chanceuse, les salaires, bien que déjà moindres, sont encore assez élevés, sans que le haut prix subsistances y soit pour rien. Ils sont plus bas en France, par cette double raison que l’industrie y est moins florissante et le crédit moins étendu, et l’Allemagne est encore à cet égard plus arriérée que la France, parce qu’elle jouit dans une mesure encore moindre des bienfaits du crédit. Dans quelque pays qu’on veuille observer le phénomène si intéressant de la fixation des salaires, on le verra toujours obéir, sans dévier, à cette double loi, Il n’est donc pas vrai que le prix de la main-d’œuvre s’élève avec le prix des subsistances. Par conséquent le fardeau que les lois restrictives imposent aux classes ouvrières est pour elles sans aucune compensation.

Il y a plus. En tant que ces lois s’appliquent à ceux des produits agricoles qui servent de matières premières dans les manufactures, par exemple les lins, les chanvres, les laines, les graines oléagineuses, les bois, etc., elles arrêtent l’essor de ces manufactures ; elles mettent obstacle à leur développement, et par là au développement de la prospérité industrielle du pays. Dès-lors, par un enchaînement inévitable de conséquences, elles tendent à diminuer bien plus qu’à augmenter la rémunération du travail. Loin d’élever les salaires, elles les dépriment.