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plus richement doué qui ait paru depuis lord Byron, d’autres juges, moins indulgens, lui reprochent une certaine affectation, un faire maniéré, une simplicité cherchée et tant soit peu pédante. Bulwer, par exemple, n’admet pas une poésie aussi féminine, aussi énervée. Dickens, en revanche, professe un véritable culte pour l’auteur de Dora et d’Audley Court. Ces dissonances s’expliquent à merveille chez deux écrivains dont l’un, par son érudition, est cosmopolite, dont l’autre, par la nature de ses succès, restera toujours, et très exclusivement, anglais. En certaines occasions, la prose de Dickens et les vers de Tennyson offrent une ressemblance frappante. Les pensées ont un air de famille ; les mots mêmes prennent une physionomie, une harmonie analogues. On pourra s’en convaincre si l’on veut comparer le récit des funérailles de Nelly (Old Curiosity shop) avec le New Year’s Eve, ou le Dirge, ou toute autre élégie où le poète s’est complu dans le spectacle de la mort et du sépulcre. Le rapprochement est ici d’autant plus facile, que Dickens a écrit, en vers blancs irréguliers, le passage auquel nous renvoyons nos lecteurs.

Que si, maintenant, nous changeons notre point de vue, et si nous cherchons à dégager des poésies de Tennyson ce qui pourrait influer sur les littératures étrangères en général, sur la littérature française en particulier, nous verrons que cet élément se réduit à peu de chose. On ne contestera pas, nous le croyons, aux compatriotes de Racine le sentiment de l’harmonie ; ni la puissance du rêve, le goût des abstractions poétiques au peuple qui, tour à tour, s’est épris de Châteaubriand et de ses brillans héritiers ; mais, dans ses plus larges concessions à la flottante fantaisie, à l’indépendance ailée, au caprice mélodieux, l’esprit français gardera toujours cette rectitude, cette précision, cet amour de la pleine lumière et du sens complet par lesquels il échappe aux enivremens vaporeux de la muse allemande ou britannique. Une épithète éblouissante, mais confuse et mal adaptée au mot qu’elle prétend colorer, un accouplement bizarre de vocables disparates, la fausse grandeur de quelque image à demi voilée, le sublime cherché dans l’excès de la naïveté, la disproportion d’un mode solennel avec un sujet trivial, ne feront jamais, chez nous, autant d’illusion que chez nos voisins.

D’ailleurs, en cette voie de raffinemens, de patientes recherches, de ciselure infinie, d’intentions savantes, nous avons été tout aussi loin qu’eux. En tenant compte des inévitables différences d’exécution, nous trouverions soit chez nos poètes, soit chez nos conteurs modernes, des paysages aussi finement touchés, des musiques aussi curieusement notées que les paysages et les musiques du poète anglais. Le Cor, la Fille de Jephté, les Amans de Montmorency, parmi les poésies de M. de Vigny ; parmi celles de M. Sainte-Beuve, le Coteau, plusieurs sonnets des Consolations