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souffle puissant et continu d’une forte brise ; on sent les parfums printaniers ; on voit ce ciel serein où se balance, penché vers l’horizon, un nuage, un seul, aux larges contours. Comme le poète, on a les oreilles pleines de ces bruits mêlés du matin : le mugissement du bœuf qui, posant son énorme cou sur les claies d’une rustique barrière, appelle, dans le champ voisin, ses compagnons de pâture ; les roucoulemens joyeux des colombes dans les bosquets ; l’alouette et ses gazouillemens que le bonheur semble arrêter au passage ; le rouge-gorge sur les haies ; les coucous plaintifs se répondant d’une colline à l’autre. Auparavant, vous avez vu passer devant vous l’image du jardin tel que le poète le rêve et l’aime :

Not wholly in the busy world, nor quite
Beyond it, blooms the garden that I love.

La cloche y raconte les nouvelles de la ville tumultueuse, et, caché sous les feuillages épais, vous écoutez le vent qui vous apporte la musique des altiers beffrois. Une lieue de prairies vous sépare pourtant de cette cité bourdonnante, gazons veloutés où s’attarde le flot dormant de quelque rivière au lit élargi. C’est à peine si ce flot, quelquefois troublé par le choc d’une rame indolente, fait vaciller sur leurs tiges les lis paresseux qu’il baigne, et il se glisse lentement, chargé de pesans bateaux, vers ce pont à trois arches, dominé par les tours de la cathédrale.

Ces peintures, et vingt autres que nous pourrions citer encore, attestent que Tennyson est un artiste dans le vrai sens du mot : une ame où les aspects de la nature laissent une impression réelle et profonde, une intelligence qui a reçu de Dieu le rare et sublime pouvoir de les transmettre à tout un peuple. C’est à ce titre qu’il nous paraît plus ou moins éminent. Considéré comme penseur, comme philosophe, il retomberait dans la foule. A-t-il ou n’a-t-il pas un but ? ce but est-il dans le ciel ou sur la terre ? cherche-t-il un sens à tous ces phénomènes qui le frappent si vivement ? Nous en doutons, et d’autres en ont douté avant nous. A le prendre au mot, il faudrait le ranger parmi les partisans éclectiques de l’autorité bénigne et forte, de la liberté sage et modérée : l’esprit du christianisme, qui est aussi l’esprit de la philosophie, lui dicte parfois quelques paroles de paix universelle, de charité, de fraternité, de bienveillance pour les faibles, de pitié pour les méchans ; mais cette horreur qu’il professe contre tous les extrêmes, contre toutes les violences, ces sages conseils de résignation, de tolérance mutuelle, de patience évangélique, nous sommes habitués dès long-temps à les retrouver dans une foule d’esprits incomplets, qui ne savent ni ce qu’ils veulent, ni ce qu’ils doivent vouloir, ni ce qu’ils croient, ni ne qu’il faudrait croire. Ce serait peut-être prendre une idée fausse du talent