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s’en doute, les digues de l’orgueil soupçonneux ; sa courageuse résignation, son obéissance plus courageuse, sa haine sincère des vains propos et son horreur du commandement, ont couronné Isabel reine du mariage et la plus parfaite des femmes. »

Nous conservons à dessein ce luxe métaphorique, cette surabondance parfois incohérente d’images diverses, qui sont les traits caractéristiques de la poésie moderne. Nous ne nous arrêtons pas à concilier l’idée de fleur et celle de temple, pas plus que celle de conseils, qui montent comme la marée et couronnent ensuite le front immaculé d’une chaste épouse. Telle n’est pas notre mission, et le poète aurait droit de se plaindre si, pour le rendre plus acceptable à la logique, nous appauvrissions les couleurs dont il se montre aveuglément prodigue. En pareil cas, il nous traiterait sans doute comme il traite ce sophiste auquel il interdit l’accès de son ame.


« Ne trouble pas la pensée du poète avec ton bel esprit futile. Ne trouble pas cette pensée dont tu ne sonderas jamais les profonds abîmes. Il lui faut une transparence constante, il lui faut l’éclat d’un fleuve de cristal ; l’éclat de la lumière même, la transparence du vent.

« Sophiste au front assombri, n’approche point. Tout est ici terre consacrée. Le faux et sardonique sourire n ’y peut pénétrer. Je verserai l’eau sainte sur les lauriers qui défendent l’abord du saint asile. Les fleurs se flétriraient au bruit de ta gaieté cruelle ; la mort est dans tes regards, le souffle glacé de ta bouche rendrait stériles les plantes exposées à le subir. »


Lire cet anathème, le lire dans toute son énergie originale, c’est regarder le portrait de Tennyson, que le pinceau de Samuel Lawrence et le burin d’Armytage ont placé sous nos yeux. Le front du jeune poète est sévère ; son regard a une fermeté menaçante ; les lèvres, closes et pressées, expriment le dédain, l’amertume ; on dirait que l’insulte vient d’en jaillir, si toutefois ce front haut et sérieux n’excluait toute idée de colère et d’agitation manifestées au dehors.

Parmi ces premiers poèmes nous n’en citerons qu’un, le plus simple par le sujet qu’il traite, la plainte d’une jeune fille abandonnée, cette Mariana dont Shakespeare nous a raconté la simple histoire[1]. Tennyson, empruntant cette touchante figure à son illustre devancier, la place, moins vivante peut-être, dans un cadre plus orné. On pourrait du reste comparer avec fruit les deux créations. Voici celle du poète contemporain :


MARIANA.

« Les mousses noires couvraient d’une épaisse enveloppe les plates-bandes autrefois fleuries ; les clous rouillés tombaient, un à un, des nœuds fixés au

  1. Measure for measure, acte III, scène II.