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se crée, et où à toute heure elle s’isole si volontiers. Les preuves abonderaient, si nous voulions les multiplier, pour établir cette espèce de généalogie poétique ; nous pourrions même les chercher dans cette multitude de productions que Barry Cornwall, Leigh-Hunt, Felicia Hemans, etc., ont léguées aux patientes investigations de la critique ? Il est plus simple de constater par un seul rapprochement l’affinité qui nous a frappé en relisant Keats, après avoir lu Tennyson.

Suivez l’Endymion de Keats dans cette grotte fantastique où il surprend le tête-à-tête d’Alphée et d’Aréthuse, descendez ensuite avec lui sous les voûtes liquides de l’Océan qui le reçoit dans son sein, et contemplez le tableau frappant de ces abîmes inconnus :

… Far had he roam’d
With nothing save the hollow vast that foam’d
Above, around, and at his feet, etc.

« Et les vastes profondeurs écumaient au-dessus, autour de lui. A ses pieds, rien de plus, — sauf des débris plus morts que la mort elle-même : vieilles ancres rouillées, heaumes remplis de sable, larges cuirasses de vaillans hommes de mer, devenues la proie des flots ; — proues et targes de bronze ; — gouvernails qui, depuis cent ans, ne subissaient plus l’impérieuse direction du pilote ; — vases d’or où restait, en reliefs durables, quelque histoire d’autrefois, effacée de la mémoire des hommes, et où nul joyeux buveur n’a posé ses lèvres, depuis qu’ils s’emplissaient de vendange saturnienne ; — rouleaux moisis de cuir ou de papyrus, où les premières ames qui pensèrent et souffrirent ici-bas ont écrit, dans la langue du ciel, des traditions perdues ; — sculptures grossièrement taillées dans le marbre massif, et qui jetteraient quelques rayons dans la nuit du passé ; — puis des squelettes humains, et les ossemens prodigieux de Béhémoth et de Léviathan, de l’éléphant et de l’aigle ; — et la tête puissante de quelque monstre sans nom. »


Lisez maintenant le Merman et la Mermaid de Tennyson ; vous y sentez passer le même souffle d’inspiration, la même fantaisie y préside à l’arrangement des tableaux. Seulement le poète moderne fait vivre et se jouer sous les flots une foule d’êtres animés et voluptueux. Tant que dure le jour, les syrènes demeurent sur leur trône, la couronne d’or en tête, et remplissant les grottes marines de leurs puissans accords ; mais, à minuit, les folâtres et coquettes divinités, couronnées de blanches fleurs et laissant flotter leurs ondoyantes chevelures, courent sous les obscurs bosquets de la mer, loin de la lune et des étoiles, agacer les hardis mermen. Leurs mains sont armées de coquillages étoilés qu’elles lancent, invisibles comme Galatée et poursuivies comme elle, à ces impétueux nageurs. Celle qui se laisse atteindre, saisie par ses humides tresses et la tête ramenée en arrière, sera livrée sans défense aux baisers du vainqueur : —