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en fait de style. On fouille et on crée tout à la fois. On exhume et on imagine. Encore ce double travail se fait-il sans unité, sans but philosophique, chaque nation, chaque individu même, interprétant son rôle intellectuel selon ses croyances, ses idées, son tempérament, et le remplissant comme il lui convient.

Au sein d’une confusion incroyable, de subdivisions infinies, de systèmes sans nombre, des œuvres ambiguës se produisent, mystérieuses filles du hasard. Elles sortent de l’abîme où fermentent pêle-mêle les traditions, les espérances, les théories, les souvenirs, sans qu’on puisse très nettement préciser leur origine, retrouver leur filiation, analyser leurs beautés, se rendre compte de leur puissance. A quelle foi les rattacher, à quelle école appartiennent-elles ? Qui expliquera l’énigme de leur avènement ? Elles ne laissent pas même entrevoir, dans leurs traits indécis, les contours du moule où l’alliage bizarre dont elles sont faites prit sa forme, sa sonorité métallique, sa valeur tout à coup reconnue. Et pourtant nierez-vous ces qualités fortuites, nierez-vous l’action inexplicable de cette harmonie dont les élémens constitutifs vous échappent ? Vous le pouvez, sans doute ; mais à quoi bon ? La force méconnue n’en est pas moins une force ; l’influence niée ne laisse pas de s’exercer, en dépit de la raison qui se révolte. Le charme vainqueur peut se passer de votre aveu s’il est reconnu par toute une génération. C’est donc folie que de se cabrer ainsi. Mieux vaut étudier, et, par une étude assidue, sérieuse, pénétrer une partie du mystère d’abord incompréhensible.

Pour expliquer le poète dont nous allons parler, il faut remonter à la grande querelle de l’école satanique et des lakistes. A quiconque garde souvenir de ces combats où les grands noms de Byron et de Wordsworth servirent long-temps de drapeaux, nous n’aurons pas besoin d’expliquer longuement en quoi consistaient les dogmes opposés des deux écoles. Tout le monde sait aujourd’hui que Byron, préconisé ou honni chez nous comme novateur et romantique, fut en réalité le sévère partisan des règles anciennes, le savant champion de la poésie régulière, le défenseur d’Addison et de Pope attaqués par Coleridge et ses amis. Chacun sait qu’en fin de compte il combattit, de concert avec la Revue d’Édimbourg, — vieux ennemis réconciliés, — contre les novateurs qui prétendaient affranchir de ses entraves la poésie nationale, la purifier de tout mélange exotique, lui rendre toute sa liberté, toute sa naïveté originelles. Ce qu’on sait moins, c’est l’issue de la bataille engagée.

Pendant plusieurs années, la victoire sembla rester aux règles anciennes ; lord Byron écrasa de son génie railleur les lakistes déconcertés. La naïveté de Wordsworth, — cette naïveté parfois si puissante, — resta comme entachée de ridicule. Southey, plus brillant, plus érudit, moins exclusif dans l’application de ses dogmes poétiques, ne