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ce roman se trouve un trait bizarre dont le souvenir me revient ici. Comme les amies de Zuleika s’étonnent qu’une femme de sa condition se soit éprise d’un esclave, elle les invite à un festin. Chacune reçoit une orange ; et, tandis qu’elle s’apprête à la couper, Zuleika fait paraître Joseph. Il est si beau, que toutes les femmes, troublées par sa vue, au lieu de couper l’orange, se coupent les doigts sans le sentir. — Ces développemens romanesques de l’histoire de Joseph ont leur point de départ dans des légendes juives, dont un fragment, qui figure parmi les récits apocryphes de l’Ancien Testament, contient le récit de l’amour de Joseph pour Asseth. Moïse a eu aussi sa part dans les récits apocryphes. À en croire une tradition qui avait déjà cours au temps de l’historien Josèphe, Moïse aurait été prêtre à Héliopolis. On disait aussi qu’Abraham était venu à Héliopolis et y avait enseigné l’astronomie. Ces fables avaient probablement pour auteurs les Juifs, qui furent de bonne heure si nombreux en Égypte.

Ce qui a pu attacher plus particulièrement ces légendes au souvenir d’Héliopolis, c’est qu’aux portes de cette ville exista aussi long-temps qu’à Jérusalem un temple juif, qu’un pontife, du nom d’Onias, avait élevé sous Ptolémée-Philométor, et qui fut détruit par ordre de Vespasien après la conquête de la Judée. C’est le seul exemple d’un temple juif bâti à l’étranger ; mais l’Égypte avait été si long-temps pour les Hébreux une terre d’exil, qu’elle ressemblait un peu pour eux à une patrie. Ce temple devint le centre d’une population juive assez considérable. L’emplacement de la ville qu’ils habitaient se reconnaît encore à des tertres qu’on appelle tertres des Juifs.

C’est près d’Héliopolis qu’une pieuse tradition veut retrouver les souvenirs de la fuite en Égypte. Cet épisode de l’enfance du Christ, que la peinture a reproduit tant de fois, m’est ici rappelé sans cesse ; tout à l’heure j’ai rencontré sur mon chemin une femme vêtue de bleu assise sur un âne et portant un enfant dans ses bras, tandis qu’un peu en arrière de l’humble monture marchait appuyé sur son bâton un homme de l’âge et de la tournure qu’on donne à saint Joseph : c’était une scène de l’Évangile et un tableau de Raphaël ; même costume et même paysage. Derrière les personnages s’élevait un palmier pareil à celui qui, d’après une légende apocryphe, inclina son tronc et abaissa ses fruits à la portée de la main du divin enfant. Près d’Héliopolis une source coule au pied d’un sycomore. L’une et l’autre sont vénérés des pèlerins. Le sycomore cacha dans son sein Jésus et Marie : l’eau de la source était amère, elle devint douce aussitôt que l’enfant-Dieu l’eut touchée de ses lèvres : naïf et gracieux symbole de l’esprit de douceur qui allait changer le monde !

Des impressions moins gracieuses s’élèvent dans l’ame d’un Français en présence des ruines d’Héliopolis ; à ce nom, il ressent encore à cette