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de l’or dans la description abrégée de Paris. La première merveille qui frappe le scheikh Rifâah, c’est un café dont les glaces réfléchissent les images de ceux qui le remplissent. Les cheminées l’étonnent et lui inspirent cette réflexion : « On se range en cercle autour d’elles, et l’un des honneurs que l’on fait à un hôte est de le placer près du foyer ; il n’est pas étonnant, ajoute le malicieux musulman, que les chrétiens soient portés à s’approcher du feu. Prions Dieu de nous sauver des flammes de l’enfer. » On voit que le scheikh Rifâah n’est pas tellement converti à la civilisation, qu’il ne soit enclin à damner ceux qu’il admire.

Malgré tout ce qui manque aux établissemens scientifiques du Caire, on ne saurait refuser à Méhémet-Ali la gloire d’avoir fait quelques essais remarquables pour acclimater l’instruction dans ses états. Je ne sais où en est l’observatoire météorologique et magnétique fondé par lui ; mais l’imprimerie orientale établie à Boulac fonctionne toujours. On vient d’achever l’impression d’une édition complète, et, sous le rapport de la décence trop complète, dit-on, des Mille et une Nuits. Des presses de Boulac est sorti un journal arabe et turc qui a duré quelque temps.

Toutes ces tentatives ont leur petit côté et souvent leur côté ridicule. Tandis qu’on apprend à des Nubiens ce que c’est que l’hypotypose, les jeunes gens qu’on a envoyés s’instruire à Paris, revenus dans leur pays, ne trouvent pas d’emploi, ou bien on les met dans un poste où leur instruction européenne ne leur est d’aucune utilité. Ils ont étudié la chimie et la médecine, on en fait des marins ; quelquefois on n’en fait rien du tout. J’ai ouï parler d’un ancien élève de l’école de Paris qui, revenu en Égypte tout chargé de science européenne, avait été obligé pour vivre de prendre l’état de cuisinier. L’œuvre de Méhémet-Ali est certainement très incomplète, très défectueuse même ; cependant elle n’aura pas été stérile. La transformation de l’Orient ne peut s’accomplir en un jour, et, jusqu’à ce qu’elle soit accomplie, ou fera bien des efforts maladroits et quelquefois risibles ; mais il ne faut pas s’arrêter à ces détails, il faut aller au fond, et reconnaître que la réforme de Méhémet-Ali est une partie importante de cette grande réforme qui sera la gloire du XIXe siècle, la réforme des civilisations non chrétiennes. Jamais spectacle ne fut plus grand dans son ensemble et n’offrit des accidens plus bizarres. Si l’on a imprimé un journal arabe et turc à Boulac, il faut penser qu’il y a maintenant des journaux dans tous les idiomes de l’Inde, des journaux arméniens, parsis, cheroquee. Le sultan fait vacciner ses sujets, et le roi des îles Sandwich, dont le père était anthropophage, vient d’ouvrir son parlement.

Pour ne pas sortir de l’Orient, la civilisation y est un vêtement inusité que la barbarie porte encore d’assez mauvaise grace, car tout costume nouveau ressemble à un travestissement, et les novateurs y rappellent