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leurs soins a été réalisée la pensée du général en chef de l’expédition d’Égypte, qui, en parlant de la fondation d’un hospice civil au Caire, disait : « Il faut que cet hôpital soit une école de médecine. » C’est ce qui existe aujourd’hui.

Les plantations de Méhémet-Ali, celles de son fils Ibrahim, sont des spéculations, mais des spéculations dont le pays a profité. Il aurait mieux valu planter moins d’arbres et causer la mort de moins d’hommes. Pourtant c’est quelque chose encore que d’avoir planté des arbres, tant d’autres se sont contentés de tuer des hommes ! Tout ce que Méhémet-Ali a fait pour l’agriculture est d’une utilité réelle. Malheureusement il a trop peu fait pour elle et trop voulu faire pour l’industrie. Dans le pays le plus fertile du monde, au lieu de demander à la terre des richesses faciles, il a voulu implanter de force une activité industrielle à laquelle ce pays n’était nullement préparé. Entreprise factice et, comme tout ce qui est factice, violente et stérile !

Le véritable service que Méhémet-Ali a rendu à la civilisation, c’est d’avoir aboli les distinctions de sectes et de races dans ses états. Des prescriptions qui remontaient au calife Omar enjoignaient aux chrétiens de marquer l’infériorité de leur condition par certains signes extérieurs. Méhémet-Ali a supprimé ces prescriptions injurieuses. Au reste, dès le XIIIe siècle, les chrétiens avaient obtenu de plusieurs califes la permission de s’habiller comme ils l’entendraient ; une entière liberté religieuse régnait. « Au Caire, chacun révère son dieu et garde sa loi comme il veut, » dit un écrivain du XIIIe siècle. La tolérance, au moyen-âge, était plus grande dans les pays musulmans que dans les pays chrétiens, parce que la civilisation y était, à certains égards, plus avancée. C’est le contraire aujourd’hui. Il a fallu que la tolérance fût rapportée d’Europe dans l’Orient, qui ne la connaissait plus. Les Français en déposèrent au Caire les premiers germes, Méhémet-Ali les a fécondés. « Grace à la tolérance et au libéralisme du pacha, dit M. Th. Pavie, les couvens du Caire sont assez florissans, et on y entend l’humble cloche sonner l’Angelus à l’heure même où les muzzeims crient au haut de leur mosquée leur Allah Akbar. » Selon moi, la tolérance de Méhémet Ali est due moins à un respect sérieux de la liberté de penser qu’à cette indifférence qui lui fit ordonner, en 1825, des prières aux chefs de toutes les croyances, en disant : « De tant de religions, il serait bien malheureux qu’il n’y en eût pas une de bonne. » Quoi qu’il en soit, les étrangers peuvent se promener dans les rues du Caire sans craindre une de ces avanies auxquelles, il n’y a pas bien long-temps encore, ils étaient exposés. Vers 1815, Belzoni, qui se trouvait au Caire, ne se rangeant pas assez vite devant un personnage turc, reçut à la jambe un coup de sabre qui lui emporta un morceau de chair. Aujourd’hui, celui qui traiterait ainsi un Européen serait pendu.