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qu’elle a soulevées. Une vérité est certaine : c’est que, suivant la doctrine la plus généralement admise dans les pays musulmans, la terre conquise n’appartient pas aux individus, mais à Dieu, c’est-à-dire à l’état, car c’est Dieu qui, en pays d’islam, dit : L’état, c’est moi. La terre appartient à Allah, comme chez les Hébreux elle appartenait à Jéhovah ; les Moultezims, ceux qui occupaient le sol de l’Égypte avant que Méhémet-Ali s’en emparât, n’étaient pas des propriétaires dans le sens absolu du mot, mais des possesseurs héréditaires ; le pacha a pu, sans choquer les idées musulmanes, leur retirer la possession au nom de l’état, et en leur payant une rente à titre d’indemnité. C’est à peu près ce que fit Joseph, quand il conseilla au Pharaon de profiter d’une année de disette et d’acquérir toutes les terres de ses sujets, qui les lui abandonnèrent et reçurent de lui les grains nécessaires pour ensemencer, sous condition d’une redevance annuelle du cinquième des produits. Telle est exactement la condition des fellahs sous Méhémet-Ali, sauf qu’on exige d’eux beaucoup plus que le cinquième des produits ; en outre, au temps de Joseph, la cession fut volontaire de la part des Égyptiens, ou du moins ce ne fut pas le souverain, mais la famine qui les y contraignit. Il y eut encore cette différence, que Joseph excepta les biens des prêtres, et que Méhémet-Ali a confisqué les propriétés des mosquées. Il n’en est pas moins curieux qu’à une si grande distance de temps, la condition territoriale de l’Égypte ait subi deux fois une révolution analogue.

L’Orient a-t-il jamais connu l’idée de la propriété absolue telle que nous la concevons ? Plusieurs écrivains, entre autres Volney, se sont prononcés pour la négative. Je pense qu’ils ont été trop loin. Ce qui est vrai, c’est qu’en Orient la propriété individuelle du sol s’efface souvent devant la propriété de l’état, représenté par le souverain. Les Anglais, après de longues et vives discussions sur ce point, ont fini par donner raison au système qui niait la propriété, formellement établie cependant par les anciennes lois et les coutumes hindoues, et se sont proclamés propriétaires du sol, comme les musulmans l’avaient fait avant eux. A Java, les Hollandais se sont substitués aux sultans et rajahs, seuls propriétaires de l’île ; les paysans n’étaient qu’usufruitiers. Méhémet-Ali a agi en Égypte à peu près comme les musulmans et les Anglais dans l’Inde et les Hollandais à Java.

Il faut le reconnaître, la propriété n’est pas un fait simple et uniforme, ses conditions ont varié suivant les lieux et les temps. Dans l’Inde, on trouve diverses sortes et divers degrés de propriété. Ici la terre appartient à un chef ; là une association de paysans, dont chacun a une part distincte, exploite en commun les bénéfices[1] ; ici le cultivateur

  1. Briggs, Land-tox of India, 244-50.