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il y a quarante ans, qu’il existait dans les mines de la Nouvelle-Espagne assez d’argent pour en inonder le monde ; que n’eût-il pas dit s’il avait poussé ses recherches plus au nord ! »

Citons encore de M. de Humboldt quelques lignes : « En général, l’abondance de l’argent est telle dans la chaîne des Andes, qu’en réfléchissant sur le nombre des gîtes qui sont restés intacts, ou qui n’ont été que superficiellement exploités, on serait tenté de croire que les Européens ont à peine commencé à jouir de cet inépuisable fonds de richesses que renferme le Nouveau-Monde. »

Or, si, comme je le pense, les frais de production de l’argent en Amérique, dans une hypothèse que j’ai indiquée et qui chaque jour devient plus probable, sont réduits de moitié au moins, en même temps que la production s’accroîtrait dans une forte proportion, que doit-il arriver en Europe ?

Un phénomène semblable à celui qui bouleversa les prix et transforma tant d’existences, il y a trois siècles, se manifestera. La crise, cependant, serait bien moins rapide et moins violente, parce que la masse d’argent que possède déjà l’ancien continent étant énorme, l’influence d’une quantité même considérable jetée sur le marché doit être plus lente à se faire sentir. Le niveau se rétablit entre les centres commerciaux bien plus aisément qu’autrefois, et par conséquent il n’y aurait pas à craindre d’engorgement sur un point isolé. Ainsi, une grande affluence de lingots d’un prix de revient réduit ne provoquera pas les plaintes amères d’un autre évêque Latimer. Après un certain délai, cependant, la valeur de l’argent se réglera partout sur le prix coûtant ; et, si les frais de production sont abaissés de moitié, tel pays qui possède aujourd’hui en argent 3 milliards environ de numéraire sera appauvri de 1,500 millions, puisque la quantité de travail et de jouissance que représentera alors une pièce de 1 franc sera moitié moindre. Si la baisse des frais de production de l’argent était poussée jusqu’aux trois quarts, la perte qu’éprouverait ce même pays excéderait 2 milliards.

La conclusion est que notre patrie, car c’est d’elle qu’il s’agit, ferait acte d’habile et prévoyante administration, si elle retenait pour le service de ses échanges intérieurs une masse d’argent moins exorbitante. Nul autre pays au monde n’a une pareille quantité d’argent pour servir à ses échanges. On estime communément que le numéraire de l’Europe est de 8 milliards de francs, et que la France en à près de 3 milliards, presque tout en argent. L’Angleterre, pour une population assez peu inférieure à la nôtre, et pour une quantité de transactions commerciales beaucoup plus considérable, n’a guère qu’un milliard de numéraire. Les États-Unis, avec une population fort éparse, circonstance qui nécessite la multiplication du signe représentatif des valeurs,