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sacrifier ou du moins subordonner les personnages à l’architecture, ou l’architecture aux personnages, selon l’effet qu’on se propose. Si l’on donne à ces deux élémens de la composition une importance à peu près égale, l’effet manque nécessairement de netteté.

Le Tournoi d’enfans, de Mme Cavé, est conçu d’une façon ingénieuse. Le ton général du tableau, quoique un peu pâle, n’est pas sans charme. C’est une œuvre gracieuse qui appelle le sourire sur les lèvres. Le dessin des figures n’est pas sans reproche ; mais l’incorrection n’est pas assez grave pour blesser les yeux.

Le Tripot et le Mendiant, de M. Penguilly, intéressent par la vérité de la pantomime, par la finesse de l’exécution. Le Mendiant surtout est traité dans toutes ses parties avec un soin, une patience que je ne me lasse pas d’admirer. La tête peut se placer sans désavantage à côté des morceaux les plus achevés de l’école hollandaise. Les haillons sont très bien faits ; peut-être eût-il mieux valu en diminuer la masse pour donner à la figure moins de pesanteur. Le Tripot est d’un effet sinistre, le joueur dont le sang coule, dont les jambes fléchissent, tandis que le meurtrier s’enfuit par la fenêtre, est très bien posé. Ces deux compositions révèlent chez M. Penguilly un rare talent d’observation. Le Paysage par un temps de pluie n’est pas moins terrible que le Tripot. Dans ce tableau étrange, le ciel semble fait pour le gibet, et le gibet pour le ciel.

Les jeunes Pâtres espagnols, de M. Adolphe Leleux, les Mendians espagnols, de M. Armand Leleux, le Souvenir d’Espagne, de M. Edmond Hédouin, appartiennent à la même famille et méritent à peu près les mêmes reproches. Il y a dans ces trois compositions du naturel, de la vérité, mais le dessin est trop sacrifié à la couleur. Dans les Pâtres espagnols, de M. Adolphe Leleux, la forme est tellement négligée, que les personnages ressemblent plutôt à des taches ou à des chiffons qu’à des créatures vivantes. Les débuts de M. Adolphe Leleux ont été justement applaudis, et le public, en le voyant si peu sévère pour lui-même, aurait le droit de l’accuser d’ingratitude. Le Souvenir d’Espagne, de M. Hédouin, quoique la forme y soit traitée avec un peu plus de respect, n’est cependant pas dessiné aussi nettement qu’on pourrait le souhaiter. Que M. Adolphe Leleux se corrige, M. Armand Leleux, M. Edmond Hédouin, profiteront certainement de son exemple, et se corrigeront à leur tour. S’ils s’obstinaient à négliger la forme comme ils l’ont fait cette année, bientôt le public n’apercevrait plus les qualités heureuses dont ils sont doués, et passerait devant leurs ouvrages avec indifférence.

Les Lutteurs, paysage de M. Paul Flandrin, sont d’un bon aspect. Le mouvement des figures est énergique et vrai. Le fond est bien composé et offre de belles lignes ; malheureusement les arbres sont lourds et nuisent un peu à l’effet du tableau. Cependant, malgré ce défaut, l’œuvre de M. Paul Flandrin mérite de grands éloges. Une Vue de la campagne