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Ne croyez pas que ce soit rabaisser la révolution espagnole que de l’envisager sous cet aspect ; c’est que là en réalité est tout son avenir. Dans l’état de ruine où est l’Espagne, les questions économiques devraient seules dominer pour long-temps, parce que seules elles peuvent faire pénétrer la révolution dans les mœurs. Tant que cette œuvre ne sera point accomplie, tant que les mœurs ne se seront point imprégnées de l’esprit moderne, tant que le travail ne sera pas venu créer la solidarité entre les hommes, et non-seulement entre les hommes, mais entre toutes les parties du royaume qui vivent aujourd’hui en une flagrante hostilité ; tant que le sentiment de la légalité ne se sera pas substitué aux suggestions de la force individuelle, l’Espagne pourra être libre de nom, de droit si l’on veut : elle ne le sera pas de fait. On pourra discuter au congrès et faire des discours qui durent trois jours, si deux ne suffisent pas ; ce sera au mieux, et pendant ce temps le désordre prendra possession du pays ; il dépendra d’un chef audacieux d’aller lever un drapeau quelconque, de surprendre une ville, de piller les caisses, de frapper des contributions, le tout au nom de la junte centrale, de la constitution de 1812 ou de don Carlos, n’importe. La politique se résumera parfaitement dans cette petite histoire qu’on raconte. Il y avait, pendant la guerre civile, certains endroits toujours menacés où sur la place principale on avait mis une plaque qui d’un côté portait : Place de la Constitution, et de l’autre : Place Royale ; selon que christinos ou carlistes approchaient, on tournait la plaque ; il n’en fallait pas plus pour être royaliste ou constitutionnel. Cette plaque me paraît le symbole le plus exact de toutes les révolutions qui sont dans les mots et qui ne sont pas dans les choses. La pacification politique de la Péninsule dépend si bien de ces questions d’organisation dont je parlais, que les événemens les plus décisifs en apparence restent jusqu’à un certain point sans effet. Qu’a-t-on vu depuis quelques mois ? Un cabinet a accompli un acte certainement considérable, — le mariage de la reine ; l’effort même a été si grand, que ce pauvre ministère en est mort. Eh bien ! jugez cet acte uniquement au point de vue espagnol, au point de vue intérieur ; quel problème a-t-il résolu ? à quelle difficulté a-t-il mis un terme ? quel changement s’est opéré dans la situation réelle du pays ? quelle garantie de sécurité offre-t-il tant que l’anarchie, qui est dans les habitudes, n’aura point été extirpée par une main vigoureuse ?

Maintenant, le pouvoir tel que je l’ai dépeint, tel que j’ai cru le voir en Espagne, peut-il réaliser cette grande pensée de la régénération du pays ? Il y a dans son inconsistance et dans sa faiblesse des raisons décisives pour en douter. Ce qui est essentiel aujourd’hui pour la Péninsule, c’est un régime réparateur, c’est une politique attentive, vigoureuse, persévérante, pratique, une politique d’ordre et d’action bien