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pleines d’incertitude. Son rôle serait de représenter la légalité naissante et de travailler à la fortifier ; c’est là cependant une mission théorique qu’elle ne remplit point en réalité. Elle se trouve placée entre une législation ancienne, confuse, contradictoire, inapplicable, et une législation nouvelle, à peine ébauchée, variable, souvent aussi peu claire dans son esprit que dans ses termes. Il en résulte un arbitraire à peu près général ; le champ des interprétations est ouvert au caprice de fonctionnaires inexpérimentés qui s’en prévalent pour exercer leur petit despotisme. L’administration n’administre pas ; il semble même jusqu’ici que ce soit la dernière chose à laquelle on songe. L’administration n’est qu’un instrument dans la main des partis. Quelle force d’action pourrait-elle conserver, lorsque ses principes constitutifs changent périodiquement ? Quelle habitude des affaires, quelle autorité morale pourraient acquérir les hommes, lorsqu’ils sont portés aux fonctions publiques, non par un mouvement régulier, mais par le hasard de la lutte ? L’instabilité qui existe dans les hautes réions du pouvoir se communique à tous les degrés de la hiérarchie administrative. Chaque parti a ses employés, depuis le premier ministre jusqu’à un simple alcade, jusqu’à l’agent le plus obscur ; chaque employé par suite se croit consciencieusement obligé à se transformer en petit politique, sans s’inquiéter des devoirs de son emploi ; il se croit même appelé à exercer son contrôle sur le pouvoir ; on a vu de simples attachés d’ambassade venir d’Amérique, faire deux mille lieues pour déposer solennellement leur démission entre les mains du ministre d’état parce que la marche de la politique leur paraissait décidément mauvaise. Qu’un général refuse de remplir une mission qu’on lui confie, cela est trop commun pour qu’on s’y arrête. Il y a donc eu jusqu’à ce jour en Espagne des employés modérés et des employés progressistes ; peut-être serait-il temps de chercher des employés uniquement préoccupés du service de l’état. De toutes les conditions nécessaires pour la réforme de l’administration espagnole, la première, c’est d’en chasser la politique, qui la pervertit en créant des mœurs où tous les excès peuvent se produire au nom des passions de parti, d’établir cette division des pouvoirs qui est la première règle dans un état constitutionnel. C’est ainsi seulement, que l’administration peut asseoir son influence, que des traditions peuvent se former, qu’il peut s’élever des hommes réellement capables, rompus aux affaires, doués d’une forte expérience. Les partis eux-mêmes, qui dirigent tour à tour le pays, trouveront une garantie dans cette séparation, car on ne verra point alors tant de mouvemens, qui prennent la politique pour prétexte, se compliquer en réalité de mille ambitions subalternes, de tous les ressentimens des fonctionnaires évincés qui tendent à regagner leur position.

Ce qui ne serait pas moins essentiel pour créer une administration