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individuelle se jouer des institutions, les fouler aux pieds avec une facilité effrayante, de telle sorte que l’Espagne, très constitutionnelle de nom, marche par secousses, par soubresauts, risquant d’être à chaque pas arrêtée par une attaque inopinée, par quelque effort audacieux qui suffit parfois à tenir le gouvernement en échec. L’individualisme paralyse la Péninsule, et il ne se manifeste pas seulement par des révoltes quotidiennes, par ces conspirations sourdes et permanentes où se réfugient les ambitions déçues ; il se fait jour aussi même dans le monde le plus éclairé, dans le monde où on invoque le plus souvent les mots de légalité, de constitution, et où il semble que la vie politique dût avoir toute sa grandeur et toute sa gravité. Rien n’est plus difficile à Madrid que de rassembler six hommes pour former un cabinet, et, cette première difficulté résolue, il en reste une plus grande encore, celle de maintenir l’accord entre ces volontés diverses un instant mises en contact, ce qui ne s’est peut-être jamais vu en Espagne. Le mot de crise est devenu un mot véritablement national ; il y a des ministères qui ont été en crise tout le temps qu’ils ont vécu : non, certes, que des doctrines fondamentales séparent les hommes qui occupent le pouvoir ; mais il y a l’amour-propre des uns, l’ambition des autres, une rivalité constante et active qui éclate au moindre mot, qui s’exerce sur les petites choses et met les cabinets en dissolution. Pourquoi ? parce qu’il manque à ceux qui composent passagèrement le pouvoir l’esprit de solidarité et de conduite ; parce qu’il y a, il faut le dire, dans le caractère espagnol quelque chose d’entier, d’absolu, qui répugne à ces transactions sans lesquelles il n’est point de vie publique. Aussi, remarquez combien, dans ces conditions incertaines, il s’est formé peu de caractères vraiment politiques ! Malheureusement il n’y a point ici de distinction de partis à faire : modérés et progressistes laissent voir une égale inconsistance. L’esprit politique ! il n’existe pas plus véritablement chez le général Narvaez, vraie nature andalouse, bouillante et irritable, qui a compromis l’an dernier, par ses écarts, une situation tout près de devenir féconde, que chez le général Serrano, bien qu’il ait été un instant, en 1843, ministre universel, et qu’il soit devenu depuis l’espoir de l’opposition ; le général Serrano est un bon militaire et rien de plus ; c’est un brave officier qui ne mérite pas qu’on le ridiculise en le travestissant en chef de parti. Ceux mêmes qui jouissent d’une certaine réputation d’hommes d’état le sont-ils bien réellement ? Est-ce M. Martinez de la Rosa, avec ses harangues toujours aussi brillantes et toujours aussi vides sur l’ordre et la liberté ? Quelle trace a laissée dans la politique extérieure de l’Espagne le passage aux affaires de M. Isturiz ? Quel grand acte politique se rattache aux noms de MM. Miraflorès, Casa-Irujo, malgré la dignité de ces éminens personnages ? Prendra-t-on pour un homme d’état, dans le parti contraire, M. Lopez, ce tribun éloquent qui ne monte sur la scène