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ses balcons saillans sur lesquels retombent des jalousies impénétrables et ses carrefours ornés partout de fontaines élégantes, — lions de bronze, dauphins de marbre, — qui rejettent une eau pure et fraîche. Ces balcons surtout qui décorent toutes les maisons, bien qu’ils aient été fort compromis par les romances et les mélodrames sous prétexte de couleur locale, conservent je ne sais quel air mystérieux et charmant. Ils parlent à l’imagination et réveillent mille souvenirs de grace et d’amour, comme si le soir encore le bruit des guitares venait donner le signal des douces apparitions. L’effet produit par quelques portions plus modernes de Madrid est également heureux. La Glorieta del Oriente, qui avoisine le palais, deviendra une place d’une rare élégance lorsque les arbres qu’on y a plantés auront grandi, lorsque le jardin ébauché au milieu aura acquis toute sa beauté et qu’on verra ainsi se détacher sur un fond de verdure les blanches statues des anciens rois de Castille qui sont rangées en cercle autour de la superbe statue équestre de Philippe IV. Quant à la porte du Soleil, qui ne l’a entendu citer comme un des foyers de la vie madrilègne ? Quel voyageur, arrivant à Madrid et se laissant aller un instant à suivre la foule, ne s’y est trouvé conduit sans y songer ? Ici, cependant, ce n’est pas l’éclat pittoresque qui peut attirer. La porte du Soleil n’est point une place tracée, avec art, bâtie avec magnificence ; c’est encore moins une porte, et je ne sais trop d’où lui peut venir son nom splendide. C’est simplement un carrefour où aboutissent les cinq plus belles rues de la ville et fermé d’un côté par l’hôtel des Postes ; mais ce carrefour est un lieu unique à Madrid. Là on peut voir le matin se mêler tous les costumes populaires de l’Espagne, depuis la veste de velours et le chapeau pointu de l’Andalou jusqu’à l’habit de laine brune du Gallego (Galicien), qui couvre sa tête d’un petit chapeau rond surmonté d’un plumet noir. Le Gallego surtout y abonde, et cela se conçoit : c’est de la Galice que viennent presque tous les domestiques de Madrid. Peu à peu, à mesure que le jour avance, la porte du Soleil se peuple davantage et ne cesse d’être le centre du mouvement. Du mouvement ! je me trompe peut-être. C’est principalement le rendez-vous de tous ceux qui n’ont rien à faire, et le nombre en est grand. Oisifs, curieux, industriels de hasard, employés mécontens, — tout ce monde avide des nouvelles du jour se presse dans cet étroit espace. Si quelque crise ministérielle s’agite, si quelque pronunciamiento a éclaté dans les provinces, c’est à la porte du Soleil que les premières rumeurs circuleront et iront en se grossissant. Et cependant, chose étrange ! dans cette foule qui va et vient, qui se succède sans cesse, il règne toujours un certain silence, ou du moins c’est un bruit sans tumulte, un mouvement pour ainsi dire sans agitation. On peut au surplus faire la même remarque dans presque toutes les réunions publiques d’Espagnols. Au congrès, on retrouve le même calme, la même