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on y voit de ces habitations commodes, propres, bien ordonnées, qui presque partout, dénotent l’existence d’une classe intermédiaire aisée, intelligente, laborieuse et jouissant d’un convenable bien-être. Il ne faut pas seulement juger sur l’extérieur, qui pourrait tromper parfois ; pénétrez un moment dans une maison de Madrid, dans ce qu’on peut appeler une maison bourgeoise. D’ordinaire, l’entrée est encombrée par quelque atelier disgracieux, par quelque industrie borgne qui remplit cet étroit espace. Montez les degrés d’un escalier mal construit, souvent sale et obscur : vous trouverez à chaque étage une porte épaisse, ferrée, et qu’on n’ouvre pas sans vous avoir interrogé par un guichet ; il semble que la faiblesse d’un pouvoir inhabile à exercer une protection suffisante ait laissé dès long-temps à chacun le soin de se garder lui-même. L’intérieur, en général, n’est pas plus brillant. Ce sont le plus souvent des appartemens nus, blanchis à la chaux ; les murs sont ornés de quelqu’une de ces superbes gravures de Poniatowski s’élançant dans l’Elster qui firent frissonner notre enfance ; de médiocres sièges en paille s’offrent à vous. Une natte en paille également, de différentes couleurs et tressée avec art, s’étend sous vos pieds. C’est le seul luxe de ces appartemens décorés avec une simplicité un peu primitive. Le classique brasero complète, l’hiver, ce modique ameublement. Le brasero, on le sait, est une chose nationale au-delà des Pyrénées. Malgré un mérite aussi essentiel, je l’avoue, je ne puis voir dans cette poignée de feu sans vie et sans aliment qui se morfond au milieu d’une vaste pièce autre chose qu’un leurre parfait, un moyen ingénieux de laisser croire qu’on se chauffe en Espagne. Tout cela ne constitue pas un ensemble des plus comfortables. Il faut dire cependant que, s’il y a encore à Madrid beaucoup de maisons sur ce modèle, il en est déjà quelques-unes, même dans des conditions moyennes, où respire une honnête aisance, dont le goût a dirigé l’arrangement, qui réalisent les améliorations matérielles les plus désirables ; seulement ce sont là des exceptions qui rendent plus sensible l’absence générale de bien-être dans cette classe d’habitations. Je veux tirer de ces détails une conclusion plus sérieuse : c’est que la fraction de la société appelée à se donner ce bien-être qui tient le milieu entre le luxe seigneurial et la misère populaire en est encore à se former péniblement au sein de la Péninsule. La bourgeoisie espagnole, pour dire le mot, n’est point assez affermie pour que ses goûts et ses besoins aient eu le temps de se manifester dans la vie matérielle. En outre, l’industrie nationale n’est pas encore assez développée pour lui fournir, selon ses ressources, des moyens suffisans d’aisance intérieure, de telle sorte que jusqu’ici les plus hautes fortunes seules, en Espagne, ont pu se procurer ce comfort si envié dans d’autres pays, parce que seules elles ont pu l’aller acheter au dehors sans en calculer le prix.

Madrid n’en a pas moins un extérieur pittoresque et singulier avec