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pénibles qu’ont pu faire naître les solitudes mornes des deux Castilles.

Ce qui distingue aujourd’hui Madrid en effet, et ce qui explique aussi sans doute les déceptions de beaucoup de voyageurs altérés de pittoresque, de couleur locale, c’est que la métropole de l’Espagne est tout-à-fait en voie de devenir une ville moderne, européenne. Plus on va, plus ce caractère se manifeste. Le passé est très vivant, très puissant encore, il est vrai, sur bien des points ; mais chaque jour il reçoit une nouvelle atteinte. Parcourez Madrid par un beau soleil, et vous apercevrez distinctement tous les signes de cet état de transition. À côté de quelques-uns de ces palais des grands d’Espagne, qui sont restés debout avec leurs écussons et leur apparence de grandeur seigneuriale, une multitude de constructions toutes modernes s’élèvent déjà : c’est le luxe brillant de notre temps auprès du luxe sévère et majestueux des vieux jours ; des rues nouvelles sont ouvertes, les anciennes sont agrandies, améliorées, rectifiées. Une circonstance a beaucoup servi à cette régénération matérielle, c’est la suppression des couvens, la mobilisation de ces propriétés devenues nationales. L’état a pu trouver parmi tant d’édifices religieux, dont l’existence ne s’accommodait plus avec les nécessités de notre époque, de convenables établissemens publics. Le sénat tient ses séances à l’ancien couvent de Doña Maria d’Aragon ; c’est à la place du couvent de l’Esprit-Saint que doit être construit le palais du congrès. D’autres ont été simplement rasés ; on y a établi des marchés, on y a formé des places. Il en est enfin qui ont été livrés à l’industrie particulière et que l’industrie a utilisés à son profit. Ces changemens ne donnent-ils pas un tout autre aspect à une ville ? Il est certain que Madrid possède en ce moment des quartiers qui s’embellissent chaque jour et qui peuvent rivaliser avec les quartiers les plus renommés des autres capitales : telle est la rue d’Alcala, qui s’étend du Prado à la porte du Soleil, et forme, avec la rue Mayor, qui lui succède, la principale artère de Madrid. Imaginez parallèlement à la rue d’Alcala la rue San-Geronimo, la belle et vaste rue d’Atocha, toutes deux conduisant au Prado, qui les couronne, et vous pourrez prendre une idée de la partie remarquable de la ville. Là est le mouvement, là est la vie ; c’est le beau côté de la médaille. Si vous voulez connaître le revers, vous n’avez qu’à aller fouiller un instant le quartier de Lavapiès, dont les pauvres maisons cachent des existences plus pauvres encore, et où la misère espagnole s’étale dans toute sa nudité.

N’est-ce point là, d’ailleurs, le contraste qu’on retrouve invariablement dans tout centre de population considérable ? Ici la richesse, là le dénuement ! Le luxe a ses quartiers, la misère a les siens. J’ajouterai une observation particulière à Madrid, c’est qu’entre ces deux conditions extrêmes on cherche vainement un milieu ; moins qu’ailleurs