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Il n’y a dans ses abords rien de grandiose et qui annonce une ville importante, ou, mieux encore, le siège d’un empire. Il semble plutôt qu’on pénètre dans une contrée désolée ; la campagne est nue, dépeuplée, austère ; c’est à peine si de loin en loin on rencontre quelques villages misérables qui paraissent tout près de tomber en poussière, tant les maisons pauvrement construites sont calcinées par le soleil. La Cabrera est restée dans ma mémoire comme le type de ces bourgs qui ressemblent à des ruines sur le chemin et où il y a cependant une population ; mais cette population elle-même laisse voir un délabrement qui attriste. Si quelque chose peut étonner avec cela, c’est l’air de stoïque résignation, de sérieuse fierté, qui n’abandonne pas le Castillan dans sa misère. Plus on avance vers Madrid, plus le pays est rude et dépouillé ; la solitude est aux portes de la ville. De la cour même du palais, le regard peut librement embrasser dans leurs ondulations ces plaines immenses et arides qui vont se perdre à l’horizon, semblables à ces savanes américaines que Cooper désigne sous le nom de prairies roulantes ; la vue n’est bornée au loin que par la chaîne du Guadarrama, dont les cimes couronnées de neige s’élèvent toutes blanches dans les nues et refroidissent au passage les vents qui arrivent sur Madrid. Pas un arbre ne vient réjouir l’œil dans cet intervalle ; point de ces oasis de verdure qui décèlent la richesse du sol et animent le tableau des campagnes. C’est ce qui fait que la première impression qu’on ressent est une impression de vague tristesse.

Est-il vrai, cependant, d’après cette position désavantageuse, que Madrid ne soit point dans les fortes conditions d’une capitale destinée à être la tête d’un pays, comme on le dit assez souvent ? C’est une pensée qui peut venir un instant, mais qui ne tient pas devant cette simple question : Quelle autre ville eût pu choisir l’Espagne pour sa métropole ? Madrid n’est pas environnée d’un jardin, d’une huerta, comme Valence ; elle n’a point toutes les facilités pour la création d’un commerce puissant et étendu, comme Cadix ; elle ne se distingue pas par l’activité de ses manufactures, comme l’industrieuse Barcelone ; elle n’a pas les traditions historiques de Burgos et de Cordoue ; elle n’a pas l’éclat monumental de Séville ou de Grenade : combien de fortunes lui manquent’ et néanmoins, — j’en juge au point de vue de l’avenir encore plus qu’au point de vue du passé, — Madrid est la véritable capitale de l’Espagne. Située presque à une égale distance des Pyrénées et de Gibraltar, de Valence et du Portugal, elle est le vrai centre du pays. Si elle n’a point les mérites, la couleur marquée et originale de ces villes dont je parlais, elle n’a pas aussi leur caractère exclusif. Madrid n’a point d’intérêts particuliers qui la mettent en hostilité avec les provinces ; sa prospérité tient, au contraire, à leur prospérité, sa prépondérance s’accroîtra par leur développement simultané, sa position