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inévitablement de faim, si la charité publique ne venait aussitôt à leur secours. Un peu moins de volonté, un peu moins d’intelligence que les autres hommes, en voilà assez pour rendre un être incapable de gagner sa vie, et pour lui enlever dans certains cas la libre détermination de ses actes. L’imbécillité affecte, comme on voit, plus d’une forme et plus d’un degré. La vie est un combat, a dit Beaumarchais les pauvres d’esprit, les faibles, les imprévoyans, les inhabiles, composent dans cette lutte journalière le parti des vaincus. Par le temps de concurrence qui règne, certaines femmes qui mendient, qui volent, ou qui vivent du déshonneur, n’ont pas trouvé dans leur nature la somme de moyens ni de volonté suffisante pour réagir autour d’elles sur les circonstances. Moralement faibles, elles succombent à la fatalité des entraînemens coupables.

On rencontre sur la limite flottante de l’imbécillité un nombre beaucoup trop considérable de ces créatures douteuses, pas assez intelligentes pour vivre honorablement dans le monde, pas assez fortes de volonté pour éloigner les suggestions du mal ; tout leur a manqué, même le degré d’abaissement nécessaire qui émeut les entrailles de la charité publique. Ces pauvres êtres chez lesquels le sens moral est en souffrance, trouvant la porte des hospices fermée devant leur infirmité incomplète, tombent trop souvent sous la main de la justice. S’ils étaient riches, ils rencontreraient peut-être dans la satisfaction prompte et facile de leurs besoins, dans les appuis de tout genre qui les entoureraient, un contre-poids à cette débilité de la conscience qui seule explique leurs écarts. Encore avons-nous vu le contraire dans une affaire criminelle, où le jury, par une application, malheureuse cette fois, du principe d’égalité, a frappé d’une peine infamante un jeune prince imbécile. Pauvres, ces hommes incomplets sont encore bien plus exposés à commettre, faute de discernement, des crimes involontaires, que la justice ne distingue pas toujours des actions libres, les seules qui devraient entraîner avec elles la responsabilité.

M. Voisin assistait en 1828 au départ de la chaîne des forçats. On venait d’opérer le ferrement de ces misérables, quand il aperçoit dans un groupe un jeune homme de vingt-deux ans condamné pour viol. Habitué par ses observations journalières à reconnaître les traits extérieurs de l’idiotisme, il soupçonna dans le galérien un de ces êtres infirmes et disgraciés chez lesquels la liberté morale n’existe pas. Il s’avance, il interroge les camarades de l’infortuné ; les doutes du médecin se confirment : il avait bien un imbécile sous les yeux. Si la faiblesse de ses facultés intellectuelles ôtait à ce malheureux le sentiment de son humiliation, il n’en restait pas moins couvert d’une tache qui s’étendait à sa famille. Un si triste spectacle émut le cœur du docteur Voisin, qui dénonça plus tard le fait à l’Académie de Médecine. « Il y