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par un sourire, l’éclosion de la pensée qui s’essaie dans un bégaiement vague, toutes ces primeurs de l’intelligence et de la vie si intéressantes à recueillir n’ont d’autres témoins que des nourrices mercenaires ou des mères aveuglées par la tendresse. Le coup-d’œil de la science a manqué à des faits si délicats. Sans la connaissance exacte des évolutions du premier âge, on ne peut cependant fixer avec certitude à quelle phase de ces évolutions il faut placer le point d’arrêt de nos facultés, en d’autres termes, les débuts de l’idiotie. Les rapprochemens abondent entre l’état d’ignorance, de stupidité naturelle à l’homme qui vient de naître, et l’état des êtres engourdis que nous rencontrons dans nos hospices. L’homme arrive au monde sourd-muet, aveugle, perclus, privé de raison et de sentiment : les progrès de l’âge et de l’éducation consistent à le guérir de ces infirmités originelles : chez l’enfant arrêté, ces progrès avortent. L’estomac, quoique très exigeant, ne sait pas toujours se faire obéir par les membres auxiliaires : il y a des idiots qui mourraient de faim à côté d’une table chargée d’alimens. Un des caractères du premier âge est surtout visible dans la démarche de certains idiots : ces malheureux ne lèvent point les jambes en marchant ; comme les enfans de trois ou quatre ans, ils traînent sous eux leurs pieds et glissent lourdement. Cette marche pesante qui ne quitte point la terre coïncide avec l’abaissement de l’intelligence, dont elle est, dans tous les cas, un signe manifeste ; il y a là un retour vers les êtres qui rampent. Quelques philosophes ont placé le berceau du genre humain dans une forêt ; on peut dire que l’homme naît encore tous les jours au milieu des animaux. L’enfant ne doit en effet sa conservation qu’à des instincts puisés dans la nature inférieure : ce lien qui rapproche l’enfance de l’animalité devait aussi la rapprocher de l’idiotie, qui nous montre plus complète et plus hideuse la victoire de la bête sur l’homme. L’inégalité de volume entre la langue et le palais constitue chez les nouveau-nés un des obstacles à l’émission de la parole humaine. Les idiots, comme les enfans et comme certains animaux, marchent volontiers la langue pendante. Cette habitude tient en partie à ce que le volume de la langue reste plus considérable chez eux que chez les autres hommes. L’enfant a besoin de toute sa gentillesse pour nous faire oublier ces restes d’animalité : l’idiot, au contraire, chez lequel la grace du premier âge n’existe plus et qui conserve les mêmes traces d’imperfection native, n’est plus pour nous qu’un objet repoussant, un enfant vieux.

Nous avons vu se former dans les infirmités de l’esprit des couches successives de dégradation. L’être moral s’arrête tantôt sur les conditions de l’échelle animale ou embryologique, tantôt sur les degrés inférieurs des races humaines : dans les deux premiers cas, il y a idiotie ; dans le dernier, imbécillité. Ces trois ordres de faits n’en constituent, après tout,