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idiot de plus tristes ressemblances ; l’homme va devenir le fantôme de la bête. C’est ici que la marche rétrograde de la nature se montre dans toute sa sombre énergie. On remarquera cependant qu’il n’existe point dans l’idiotie, non plus que dans le règne animal, une série linéaire de déformations : les caractères de l’homme ne s’abaissent pas tous à la fois ; nous retrouvons chez les sujets les plus abrutis quelques facultés intactes et des fonctions respectées, tandis que d’autres ressorts de la vie sont entièrement ramenés chez eux aux conditions de l’animalité : d’où il résulte qu’on ne peut prendre aucun organe, pas même le cerveau, comme terme de comparaison, pour mesurer le degré d’abaissement de chaque idiot. Toute anomalie chez ces êtres dégradés n’en a pas moins son analogue dans une des couches de la série animale. Il y a des idiots qu’on touche, qu’on pince même sans qu’ils s’en aperçoivent ; cette insensibilité tactile est un retour aux pachydermes. Le retard dans la seconde dentition, si ordinaire chez les enfans arriérés, correspond à l’état fixe des animaux qui gardent leurs dents toute la vie. M. le docteur Foville m’a montré, dans un bocal, la main d’une idiote qu’il faisait macérer ; ce n’était pas, à vrai dire, une main, mais une patte. Les phalanges des doigts, réduites à l’état rudimentaire, étaient pour ainsi dire soudées entre elles : on retrouvait, dans l’adhérence commencée des diverses pièces de la main, les premières traces de ce travail d’emboîtement dont le sabot du cheval nous offre, dans le règne animal, le terme extrême. Les déformations de la main suivent d’assez près sur l’échelle de l’idiotie, ainsi que dans la série des êtres, les déformations du crâne : la main est liée au cerveau comme l’action à l’intelligence. Chez quelques idiots très abaissés, les sens se trouvent plongés dans un état d’inertie qui les ramène vers les conditions du mollusque : incapables de mouvement, ils ne peuvent ni étendre la main pour saisir leur nourriture, ni témoigner leurs besoins. De tels êtres, morts à l’intelligence, aux sentimens, aux impressions du dehors, ne vivent, comme l’huître, que par des appétits obscurs. Cette existence végétative marque, dans la série de l’idiotisme comme dans celle des êtres créés, le degré inférieur de la vie ; c’est le passage de la plante à l’animalité.

De tels rapports avec le règne animal ne se bornent point à quelques traits fugitifs de l’organisme ; ils constituent chez l’idiot une manière d’être. Entraîné vers les mœurs des êtres dégradés dont il reproduit les caractères, il tend à s’assortir avec leur condition, si basse qu’elle soit. On voyait autrefois à Bicêtre des idiots se ruer, comme l’enfant prodigue au milieu des porcs et leur disputer d’immondes débris. Boerhaave en cite un qui avait vécu en Hollande parmi des troupeaux de chèvres sauvages dont il avait contracté les habitudes, les inclinations, et dont il imitait le chevrotement. D’autres ont été trouvés parmi les ours, parmi les loups, ayant perdu même les caractères extérieurs de