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tracer eux-mêmes des lignes au crayon sur le tableau. L’embarras ne consistait pour l’observateur que dans les moyens de contrôle. Quel était le degré d’idiotie de ces différens élèves ? Une connaissance personnelle de leur état avant toute éducation aurait pu seule prononcer sur la portée du succès obtenu par M. Séguin. Le doute, un doute bienveillant planait donc malgré moi non sur la méthode, mais sur les heureux résultats que l’instituteur mettait pour ainsi dire en spectacle En effet, pour peu que l’on décomposât, par des recherches attentives, la population infirme confiée aux soins de M. Séguin, on pouvait se convaincre que les idiots y étaient confondus avec des épileptiques et de jeunes aliénés.

Les trois infirmités que je viens de nommer, et qu’on s’étonnera peut-être de trouver réunies sous une seule discipline, ne présentaient pas toutes les mêmes obstacles à l’action de l’instituteur. Les attaques d’épilepsie laissent dans l’esprit de leurs victimes un obscurcissement passager ; à mesure que la crise s’éloigne, les facultés intellectuelles reparaissent à peu près intactes. Les enfans aliénés trouvent bien dans l’objet de leur délire une distraction aux influences de l’enseignement ordinaire ; mais, sauf un petit nombre de cas, leur entendement est plutôt troublé qu’anéanti. Restent les enfans idiots, arriérés ou imbéciles, que la méthode de M. Séguin devait surtout atteindre, pour sortir victorieuse de l’épreuve. L’Académie des Sciences morales, qui va au-devant de toutes les idées utiles, voulut juger par elle-même de la nature des faits et des résultats obtenus ; elle nomma pour cette mission deux hommes dont le caractère honorable et les lumières défient toute critique : c’étaient MM. Charles de Rémusat et Villermé. N’étant pas d’humeur à laisser surprendre leur approbation, les deux commissaires durent exiger quelques renseignemens précis sur l’état antérieur des malheureux enfans qu’instruisait M. Séguin. De tels élèves ne pouvaient en quelque sorte être comparés qu’à eux-mêmes ; il était indispensable de connaître exactement leur point de départ pour apprécier les effets de la méthode. Des documens exacts n’ayant pu être fournis, le travail de M. Charles de Rémusat fut ajourné. M. Séguin dut se contenter alors d’un rapport de M. Pariset à l’Académie de Médecine, rapport favorable, il est vrai, mais qui ne va pas assez au fond des choses. Au milieu de ces retards, motivés par une défiance bien légitime, l’école passa sous la direction d’un autre instituteur, M. Valée.

Les témoignages d’hommes graves, tout-à-fait désintéressés dans la question, ne sont pas, je dois le dire, entièrement favorables à M. Séguin. Il paraît que, sur une population mêlée, l’instituteur avait fait choix des enfans moins maltraités dans leur intelligence. Ses soins cultivaient surtout les élèves dont les progrès, tracés d’avance par la nature, pouvaient le plus sûrement éveiller chez les visiteurs une admiration