Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

infirmes passaient du sein de leur mère dans les ténèbres de l’éternelle nuit ; leur naissance était une calamité publique dont on se hâtait d’ensevelir la trace en les jetant au fond du Nil ou de l’Eurotas. Chez les Juifs, les enfans mal nés paraissent avoir été conservés dans les familles. On expliquait l’idiotisme comme la folie, par une cause surnaturelle : la superstition voyait des possédés du démon dans ces pauvres êtres dont toutes les facultés morales et intellectuelles semblaient enchaînées par une main invisible. L’Évangile nous présente un cas d’idiotisme, compliqué d’épilepsie, en la personne de cet enfant qui tombait tantôt dans l’eau et tantôt dans le feu.

Il appartenait au christianisme d’améliorer dans le monde la condition des faibles. Or, les idiots sont les faibles par excellence ; ils ont besoin de s’appuyer moralement sur tous ceux qui les entourent. On a dit des animaux : Quelqu’un a pensé pour eux. Il n’en est pas toujours de même des idiots : la nature n’a souvent rien prévu à leur égard. C’est donc aux hommes doués d’intelligence et de cœur qu’elle a commis la charge de veiller sur ces êtres incapables. La religion chrétienne n’eut point recours aux lumières de la science pour résoudre le problème de l’idiotisme ; elle fit pour les faibles d’intelligence ce qu’elle avait fait pour toutes les misères humaines : elle imagina de les couvrir du bonheur de la vie future. Profitant du mystère qui réside au fond de cette infirmité si peu connue, elle jeta en quelque sorte sur l’idiot le voile de la prédestination, pour le mettre à l’abri des dégoûts, du délaissement et de l’insulte. Le moyen-âge prit à la lettre ces mots du maître : Heureux les pauvres d’esprit ! C’était une faveur de la Providence, une bénédiction du ciel que d’avoir dans sa famille un de ces êtres innocens qui retournaient à Dieu sans avoir connu le fruit amer de la science ; on leur donna même en France un nom vulgaire[1] qui honorait leur situation morale en la rapprochant de cette simplicité à laquelle l’Évangile promet le bonheur. Erreur sacrée que celle qui protège la forme humaine jusque dans ses dégradations les plus profondes ! Comme toutes les erreurs, même utiles et respectables, le préjugé tutélaire qui distinguait l’idiot des autres hommes, en lui assurant le paradis, devait néanmoins disparaître du monde. Il s’attachait à ce préjugé une idée humiliante pour l’être qu’on déclarait ainsi incapable de conscience. C’est une des grandeurs de l’homme que de pouvoir encourir les effets de la colère divine. Le péché suppose le libre arbitre, le discernement du bien et du mal, toutes choses qui appartiennent à l’homme seul, et qui l’élèvent au-dessus de toute la nature. Aux yeux mêmes de la foi, le damné est grand, car il a dressé sa volonté contre celle du Créateur. La justice

  1. Le terme de crétin, par lequel on désigne encore dans quelques provinces une des variétés de l’idiotie, dérive lui-même de chrétien, comme si l’on eût voulu dire « bon chrétien, chrétien par excellence. »